Ils sont 8 quadragénaires plus ou moins tétanisés au bord de la piscine avant le premier entrainement de natation synchronisée masculine coachée par une jeune femme blonde, Delphine à priori forte en autorité et sûre d'elle-même. Ils , ce sont des losers vus de l'extérieur, des hommes qui n'ont pas trouvé leur marque dans notre société de la performance, de la réussite à tout prix. Le film "Le grand bain" est un beau miroir fort en émotions de ces hommes fragilisés par l'échec professionnel et le regard de leur environnement. L'enjeu pour chacun, au delà de plonger dans une piscine, de se soumettre à un entraînement de plus en plus exigeant, est bien d'émerger de son état de vie enlisé dans la dépression, la non reconnaissance, ou encore sous l'emprise d'une mère tyrannique et perverse.
Sans dévoiler tous les soubresauts de ce film rythmé entre rires et larmes, jusqu'au championnat du monde de natation synchronisée en Norvège, je tiens à en partager quelques enseignements de vie habilement distillés derrière ces personnages qui nous attirent dans leur incertitude, leur pathologie et finalement leur authenticité. Parmi eux, Bertrand (joué par Mathieu Amalric) est en dépression depuis deux ans. Extrait du premier contact entre Bertrand et Delphine, la coach :
-Pour être dans cette équipe, il faut allier la volonté, la grâce, le rythme et une grande hygiène de vie. Tu t'en sens capable de çà ? ..Tu sais nager au moins ?
- Oui, pas mal...Enfin...répond avec tâtonnement Bertrand
- C'est bon. T'es dans l'équipe ! conclut Delphine.
C'est par la reconnaissance de ce qu'il est que le premier pas est franchi. Il est pris tel quel sans qu'on lui fasse passer un test qui pourrait encore le mettre en échec. Et la manière dont il appuie sur les pédales pour se rendre aux entrainements en soirée témoignent d'un retour d'une motivation pour quelqu'un qui passait jusque là, ses journées chez lui, allongé sur la banquette en jouant avec son smartphone.
Leçon deux : le groupe se retrouve régulièrement dans le vestiaire de la piscine qui devient un lieu rituel où chacun peut partager (quand il le souhaite) son histoire de vie avec une règle que le groupe semble s'être donnée et rappelé par l'un deux s'il y a dérapage "on ne juge pas l'autre ". Ainsi, le groupe s'offre un espace de parole, de reconnaissance de ce qui n'est pas acceptable dans la société du dehors.
Enfin, la coach, Delphine sera remplacée provisoirement , suite à une défaillance personnelle, par une autre coach, Amanda , qui va les diriger depuis son fauteuil roulant au bord de la piscine. C'est le passage d'une autorité soft à une autorité plus virile . "Si vous voulez aller au championnat du monde, il va falloir changer de rythme et aller au bout de vous-même" leur lance t'elle presque en colère devant leur mollesse. C'est comme si ces hommes passaient des mains d'une maman protectrice (Delphine) à la poigne de fer d'un papa exigeant ( Amanda) et le tout dans une visée de les aider à retrouver leur fierté d'homme.
Belle leçon de vie jusqu'à cette scène inoubliable où le groupe avec ses deux coachs femmes , à l'issue du championnat du monde, sort du bus pour aller observer l'aube et le lever du soleil dans la campagne. Ils ne sont plus tristes, plus coincés, ils goûtent cet instant magique...signe de renaissance : le soleil les sort de la nuit !
Comment sortir de la spirale descendante de la fragilisation sociale ? La réponse suggérée par Gilles Lellouche, le réalisateur, passe par la force du groupe, le soutien d'adultes exigeants et aimants (coachs) et un défi qui va obliger chacun à puiser dans ses ressources. Et c'est beau à voir, comme la dernière chorégraphie du championnat du Monde avec une équipe de France composée de ces 8 hommes "reboostés" arrivant sur le bord de l'eau dans une tenue capuche noire sur la tête. Chut sur la suite époustouflante ! On rêverait même que la natation synchronisée pour hommes redevienne une discipline sportive olympique. ! (1)
(1) au début du XXème siècle, la natation synchronisée pour hommes existait. Après la deuxième guerre mondiale, elle a été supplanté en notoriété par la natation synchronisée féminine devenue olympique en 1984. Actuellement, sont reconnues la natation synchronisée féminine et la natation mixte en duo homme-femme.