Résister dans un monde sans boussole
Montée des populismes en Europe, guerre commerciale agressive menée par un président américain dont l’imprévisibilité interroge son irrationalité égocentrique ; des monstres numériques appelés GAFAM ( Google, Apple, Facebook devenu Meta, Amazon et Microsoft) qui nous conditionnent dans des réseaux dénommés sociaux, bref, le monde est -il en train de perdre sa boussole ? Ses valeurs de base liées à l’Etat de droit, aux démocraties respectant un minimum la liberté de pensée, de conscience et d’agir des citoyens ?
En effet, émerge de ce magma politico-économico médiatique une nouvelle forme de pensée qui pourrait se formuler ainsi. La vérité est celle que je peux clamer, déployer sur les réseaux sociaux avec certitude et même arrogance ; les médias traditionnels ne servant plus à rien ( presse quotidienne, télévisions, radios…). Je peux aussi, à l’instar d’une responsable d’un parti politique français jouer froidement, devant les médias, la victime d’un système judiciaire qui vient de la condamner à quatre ans d’emprisonnement, d’une inéligibilité de 5 ans au bout d’une instruction longue et documentée qui démasque un système organisé de détournement de fonds européens dont le préjudice est évalué à 2,9 millions d’euros par le tribunal !
Comment le simple citoyen peut-il résister à cette vague étouffant la vérité, l’Etat de droit et usant sans complexe du mensonge, de la manipulation, ou encore du rapport de forces ?
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Résister est bien souvent le premier mot qui surgit pour s’opposer à cette montée oppressante, malsaine et contagieuse du « Je peux tout dire et mentir, c’est la nouvelle loi !!! ». Oui, mais résister comment ?
Résister, c’est, de mon point de vue, chercher en priorité à préserver son esprit critique, son sens du discernement en restant connecté à des sources d’information fiables non inféodées à des lobbies ou à des puissances politiques et économiques. Citons quelques exemples parmi d’autres : Blast, , reporterre, Thinkerview ou encore des espaces médiatiques offrant des débats ouverts sans lutte de pouvoir de la parole « C ce soir » animé par Karim Rissouli sur France 5 s’inscrit dans cette philosophie avec son équipe journalistique présente discrètement au milieu des intervenants. « Débattre, c’est argumenter pour ne pas se battre » avec des idées partagées « pour éclairer l’actualité et la complexité du monde » sont cités explicitement dans la bande annonce internet de l’émission.
Résister, c’est aussi oser faire des choix qui peuvent se situer à contre-courant de cette vague déferlante évoquée en prologue de cet article.
Qui nous oblige à garder un compte sur X, Instagram, Facebook et Cie ? (1) Qu’est-ce que je perds réellement si je décide de résilier mon compte ? Evidemment, si je me situe en « influenceur », j’ai besoin d’exister sur divers réseaux sociaux, générer ma chaine You Tube et courir à la chasse aux like. Et là aussi, il y aurait à discerner qui nous faisons entrer avec discernement dans notre « cercle d’influenceurs ».
Ceci étant, résister en restant lucide sur ses propres choix de sources d’information et d’influenceurs est un premier pas.
La résistance est aussi revenir à des essentiels de la vie. En écoutant Victor Hugo déclamer « Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois, dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois, dans votre solitude où je rentre en moi-même, je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime ! »(2), à l’occasion d’un spectacle de Gospel, être touché par une chanteuse musulmane en duo côte à côte avec une chanteuse juive, contempler sans mots un vol de deux flamants roses l’un derrière l’autre dans une harmonie majestueuse au raz de l’eau. Quand je sens le vivant autour de moi qui nourris mon intériorité, oui, je peux résister.
Enfin, cet état de résistance mérite de se conjuguer au pluriel, en collectif au travers de groupes de discussion, au sein des associations, d’espaces dans lesquels la parole respecte des règles minimales d’écoute, d’authenticité, de bienveillance et d’acceptation de la divergence. Dans ce sens, les groupes de codéveloppement professionnel (3) se révèlent des lieux de co-apprentissage et aussi de préservation de cette culture qui fonde notre humanité.
- Article publié par Antoine Roche, journaliste en avril 2025
- Extrait du poème « Aux arbres » de Victor Hugo
- Fondé par deux québécois, Adrien Payette et Claude Champagne, le codéveloppement permet à des petits groupes de 6 à 9 personnes de vivre un espace de confiance et d’entraide, en s’appuyant sur des situations concrètes apportées par les participants, avec la croyance que chacun peut apprendre de l’autre. https://www.youtube.com/watch?v=9cJ-FSuh3MY