Avez vous des questions à poser ?
Jeudi, je participais à une journée de révision des gestes de premier secours avec une dizaine de participants. L'intervenant, pompier professionnel , suite à une intervention matinale sur un accident, était arrivé avec un peu de retard. Rapidement, il expliqua devant le petit groupe dont certains ( comme moi-même) avions passé l'attestation de formation aux premiers secours (afps) depuis plusieurs années (1), qu'il ne ferait pas un cours. Première surprise.
Puis, dans la foulée, sans nous demander de nous présenter, il nous demanda si nous avions des questions sur le sujet. L'un de nous disait vouloir revoir la procédure protéger-secourir-alerter, un autre, réviser les gestes de la PLS ou position latérale de sécurité qui auraient été modifiés, et encore une question " que faire quand quelqu'un a avalé de travers et risque de s'asphyxier ?". Alors, avec expertise et sur un ton alerte et clair, il reprit une à une toutes ces questions en commençant sur un petit tableau blanc par noter les numéros d'urgence : le 15, le 17, le 18 et le 112. Avec pédagogie, il nous demanda d'abord à quoi chaque numéro renvoyait et d'expliquer in finé que le numéro 15 du SAMU est vraiment le numéro d'aiguillage qui peut renvoyer sur les autres, le 18 des pompiers ou encore le 17 de la police ou de la gendarmerie en fonction du secteur urbain ou rural. Non, je ne suis pas en train de vous faire un cours déguisé de secourisme !
Puis il enchaîna avec la technique de Heimlich pour sauver une personne en train de s'étouffer. Avez vous des questions à poser ? Demanda -t'il à la fin de la séquence. Quelques questions de précision fusent : comment faire avec un bébé ? En position assise, est ce possible ? Puis, ayant éclusé les réponses, il demande à nouveau : avez vous encore des questions ? Silence. Alors, il enchaîne avec une démonstration en demandant à l'un de nous de servir de victime inconsciente pour pratiquer la technique actualisée de la position latérale de sécurité ou PLS....et à la fin, " avez vous des questions à poser ?".
Ce petit rituel qui ponctua systématiquement toutes les mini séquences sur des premiers gestes de secourisme pourrait éventuellement agaçer sur plusieurs jours mais sur une matière comme les gestes d'urgence et de sécurité et prononçés par un expert incontestable, il prenait un autre sens.
En fait, il voulait surtout s'assurer que nous repartirions sans frustration en ayant toutes les réponses à nos questions.
En fin de journée, il termina par " Reste t'il encore des questions ?" Devant le silence de l'assemblée, il en conclut que nous avions notre dose de révision et qu'il serait contre productif de vouloir encore bombarder notre cerveau de nouvelles connaissances.
Cette pédagogie d'un jeune pompier formateur se situe aux antipodes de celle pratiquée par certains éminents professeurs bardés de titre et "balançant " des savoirs préfabriqués dans des amphi comme si l'assemblée était tacitement et d'emblée d'accord sur les modalités de la transmission . Certes, il n'est pas dans mon propos de comparer un groupe de 10 apprenants avec un amphi rempli par 100 à 300 étudiants. Et pourtant, son approche m'a interpellé car elle sous entend une croyance pédagogique à laquelle j'adhère volontiers : la question est le sésame du savoir, autrement dit, l'apprenant se stimule d'abord par la question qu'il a dans la tête. Et effectivement, dans mes cours de méthodologie, j'insiste sur le réflexe " pause 30 secondes" qui consiste pour un apprenant , en amont du démarrage d'un cours, à se poser dans sa tête les questions auxquelles il souhaite des réponses. C'est une forme d'échauffement neuronal du cerveau.
Ce jeudi, ce jeune pompier, avec expertise et humilité, nous as finalement donné une belle leçon de pédagogie renonçant au bourrage de crâne pour se mettre réellement à l'écoute du groupe, de ses questions, sans chercher à pousser le curseur au delà des besoins exprimés.
Maintenant, avez vous encore des questions à poser ? (2)
(1) cette attestation est remplaçée depuis 2007 par une formation d'une durée de 10h, accessible dès 10 ans, et dénommée : "prévention et secours civiques de niveau1" ou PSC 1.
(2) si c'est le cas, voir le site croix- rouge.fr et notamment les six gestes de base en secourisme.
APPRIVOISER NOS LOUPS
A l'occasion de mon anniversaire ( et oui, déjà 51 ans !), mon fils David m'a offert le DVD Loup, magnifique fresque dans le grand Nord sibérien de notre explorateur français au grand coeur, Nicolas Vanier.
Au delà de la séduction des grands espaces, du troupeau de rennes escaladant la montagne toute blanche et vierge dans des paysages d'une pureté sauvage, l'histoire qui se tisse entre le jeune Sergueî nommé gardien de la grande harde ( ensemble du troupeau de rennes sauvages) et les loups rôdeurs autour du troupeau nous renvoit en miroir celle de notre relation à nos propres loups, nos propres peurs.
Séquence initiatique : Sergueî est désigné par son père, le chef du clan nomade des Batagaî, pour garder la harde des rennes. Il quitte le clan pour vivre la solitude du gardien. Cette solitude l'amène à s'approcher d'une louve puis de ses petits louveteaux qui viennent de naître. Premier réflexe de peur : en voyant que la louve le menace avec ses crocs , il arme son fusil puis voyant qu'elle ne l'attaque pas, il lâche son arme et l'observe à distance. Jour après jour, il revient observer à distance les petits jusqu'à ce que l'un accepte de s'approcher puis de jouer avec lui. Puis un à un, ils finissent par jouer avec lui avec le consentement de la mère ...
Nous avons peur de nos peurs tant que nous n'osons pas nous en approcher : pourquoi ne pas jouer avec elles comme Sergueî avec les jeunes louveteaux.
J'ai peur du facteur et des mauvaises nouvelles, j'ai peur de ne pas être à la hauteur de mon patron qui mesure pourtant 1,60m. J'ai peur d'échouer sans ma bouée, j'ai peur de ne pas être à l'heure avec ma montre chrono. J'ai peur de me regarder dans la glace : j'ai peur de découvrir le lion qui est en moi...
Noter qu'il s'agit de jouer avec des louveteaux, des petites peurs du quotidien, de l'appréhension de telle rencontre, de petit stress qui empoisonne bêtement nos rapports aux autres.
Séquence " les loups restent des loups" : Sergueî a apprivoisé les louveteaux et leur mère et croit qu'ils peuvent cohabiter avec le troupeau de rennes...jusqu'au jour où, en son absence, ils attaquent le troupeau et tuent un renne pour se nourrir. Sergueî est abattu !
Nos peurs restent nos peurs : nous pouvons les apprivoiser, elles peuvent resurgir de notre inconscient et nous surprendre dans notre tranquille confiance.
Séquence " sauver un loup et obtenir sa chaleur" : alors qu'il avait caché cette réalité de loups apprivoisés à son clan, cet incident l'oblige à emmener les loups le plus loin possible du troupeau de rennes pour ne pas les tuer.
Il part seul et alors qu'il fait traverser une rivière gelée au couple de loups et à ses 4 louveteaux, le mâle trop lourd tombe dans l'eau et est sur le point de se noyer. Sergueî, dans un acte de courage fou, se jette dans l'eau glaçée et le remonte vers la surface. Lui même s'extrait péniblement et ressort complètement transi de froid. Le mâle sauvé vient vers lui et il peut réchauffer sous son poil ses mains presque gelées. Scène forte du film entre un jeune homme et un loup devenu presque "tendre".
Nos peurs font partie de nous, nous pouvons les mettre à distance et pourtant pourquoi ne pas s'y réchauffer quand c'est vraiment nécessaire ?
La peur est aussi un bon signal d'alarme qui met nos sens en alerte nous mettant en capacité de réagir face à un vrai danger : le regard est plus vif, l'ouîe plus fine, et notre sang afflue vers les membres inférieurs pour nous préparer à toute fuite en courant.
A la fin du film, le jeune Sergueî, amoureux de la jeune Anastasia, a retrouvé l'estime de son père qui lui en a voulu longtemps de lui avoir caché ce secret des loups . Cette réconciliation a pour toile de fond un changement de croyance de chacun. Le père : "oui, notre clan peut vivre désormais avec des loups aux alentours sans chercher à les tuer alors que jusque là, il fallait nécessairement les tuer" et Sergueî : " Oui, je peux apprivoiser les loups mais les loups ne deviendront jamais amis avec les rennes car ils ont besoin de manger pour vivre !"
Pouvons nous conclure par une audacieuse symétrie métaphorique : oui, nos peurs peuvent être apprivoisées par une meilleure approche et connaissance en les nommant ( comme Sergueî donne un nom à chaque louveteau) et méritent ensuite d'être mises à distance pour sa propre croissance humaine.
Se réconcilier avec soi même n'est ce pas aussi se réconcilier avec ses propres peurs, qu'un jour, nous aurons eu le courage de regarder en face, les yeux dans les yeux...comme ce premier regard de Sergueî avec la mère des louveteaux ?
Jean PAGES, coach et pionnier en France de l'appreciative inquiry
Vous avez bien dit " appreciative inquiry" ?
Nom étrange et pourtant porteur d'un vrai sens en matière d'accompagnement des organisations. Cette importation en France est dûe au pionnier, Jean Pagès, 56 ans, ancien élève de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, diplômé en psychologie et en linguistique et auteur du seul livre traduit en français (1) concernant cette démarche innovante en matière d'aide au changement et née dans les années 80 aux Etats Unis. Depuis, cette nouvelle approche gagne du terrain en France auprès des entreprises, des établissements publics et même auprès des administrations.
En quoi l'approche "appreciative inquiry" dite AI se démarque t'elle des autres approches en matière de coaching et de conduite de projet auprès des entreprises et des organisations ?
Il y a d'abord une proximité avec les approches de coaching considérant que l'on part des ressources des personnes et également avec les approches de conduite de projet pour lesquelles on est focalisé sur ce que l'on veut atteindre de l'avenir.
La différence vient du fait que l'AI se focalise d'emblée sur les ressources et la recherche concrète de ce qui, à travers les expériences vécues, témoigne que les personnes ont été auteurs de réussite. Elle permet ainsi d'identifier ce sur quoi reposent ces réussites. Ainsi, il y a une focalisation sur un "noyau de réussite" pour se projeter sur une vision de l'avenir. En fait, cette démarche recoupe largement le champ de la psychologie positive dont le concept de flow ( 2) mis en lumière par le chercheur Mihaly Cziksentmihalvi. Globalement, c'est s'appuyer sur ce qui donne de la vie, de l'énergie positive à une personne et à un groupe humain. La deuxième différence avec les approches traditionnelles, c'est la construction à partir de la prise en considération de ce noyau de réussite, d'une vision attractive et engageante de l'avenir de l'organisation.
Quand vous évoquez une "vision de l'avenir", reste on vraiment réaliste ?
Oui, la démarche AI est totalement dans le réalisme car elle repose sur deux piliers.
Le premier, c'est que l'on part du contexte de l'entreprise pour dégager des orientations à partir du possible avec notamment la prise en compte du marché et de l'environnement socio-économique. Cependant, il s'agit d'une démarche constructiviste qui ne s'arrête pas sur la réalité du moment. Le deuxième pilier, c'est partir des succès réels de l'entreprise partant du postulat que si l'on a su réaliser des choses dans le passé et qu'on en réalise dans le présent, on a plus de chance de pouvoir les reproduire et les renouveler en capitalisant sur le savoir, le savoir faire et les savoir faire relationnels sociaux.
Qu'est ce qui aujourd'hui rend cette démarche particulièrement attractive pour des entreprises de secteurs très divers qui font appel à vous ?
Cette attractivité s'observe dès le premier contact. Il est souvent plus agréable de partir de ce qui marche bien dans l'entreprise plutôt que des défauts ou des dysfonctionnements. Pour autant, les contraintes en terme de marché, d'organisation, de moyens sont pris en compte dans l'orientation " travaillée" par la direction, ceci rassure les décideurs qui acceptent une démarche participative dans la mesure où un cadre clair est posé et où tous les acteurs peuvent apporter une contribution effective.
Y a t'-il des conditions préalables pour les organisations intéressées par la démarche ?
Les conditions préalables que j'identifie sont essentiellement : un engagement réel du responsable, l'accord de principe pour engager une démarche participative impliquant tous les acteurs et une réelle volonté pour construire un projet tourné vers le futur. Aussi, l'appreciative inquiry peut s'appliquer à des projets très variés qui admettent le facteur temps. Cependant, quand il s'agit d'une restructuration, l'AI ne peut se faire sur du contraint sans marge de manoeuvre. Elle peut par contre s'avérer utile, dans un deuxième temps, pour contribuer à un accompagnement des personnes, à l'élaboration par exemple d'une nouvelle culture liée à la fusion d'entreprises ou de services publics comme dans le contexte de la révision générale des politiques publiques ( rgpp).
Et vous, quel itinéraire vous a conduit à aller vers cette démarche alors que vous étiez déjà un coach et formateur expérimenté et reconnu ?
J'ai d'abord été consultant coach dans l'accompagnement de projets d'entreprise notamment en mode diagnostic. Cà marchait bien, cependant j'étais à la recherche d'une approche contribuant davantage à créer une dynamique collective positive au sein des organisations. Dans cette perspective, j'ai pris connaissance des travaux de David Copperider, le concepteur de l'AI et j'ai testé la démarche auprès de mes clients. Les premiers tests ont été très probants au point où, aujourd'hui, je propose essentiellement cette approche dans mon activité. Et depuis deux ans, avec la création de l'institut français de l'appreciative inquiry ( IFAI) (3) avec mon associé Jean Christophe Barralis, nous avons engagé une formation de coachs pour leur permettre de proposer le processus de l'AI à leurs clients. Une cinquantaine de coachs ont déjà été formés en France.
L'expression "appreciative inquiry" arrache un peu la langue de chez nous. Le concept non traduit en français ne risque t'il pas de freiner sa diffusion ?
C'est vrai que le terme peut apparaître peu explicite de prime abord. Il peut être traduit cependant par exploration appréciative ou encore démarche exploratoire et appréciative. L'expression anglaise facilite l'échange au sein du réseau international. Ceci étant dit, quand je communique avec des clients, je n'utilise pas nécessairement ce terme. J'explicite davantage les caractéristiques de la démarche dans sa dimension constructiviste, participative et partant des expériences de réussite du présent.
Y a-t-il des prérequis souhaitables pour un coach qui souhaiterait se former à l'appreciative inquiry ou démarche exploratoire et appréciative ?
Je crois que la réponse se résume en un vrai désir d'accompagner les personnes et les organisations dans le changement. L'AI n'est pas tant une boite à outils qu'un état d'esprit conforté par une procédure à la fois précise et souple pour s'adapter à la culture des organisations concernées.
Avec son doux regard, Jean Pagès offre l'image d'un philosophe de la vie qui s'est frotté au réel de l'entreprise et de ses normes de compétivité. Cette approche nouvelle telle qu 'en témoignent les entreprises qui en ont fait le choix conscient, est souvent l'occasion de changer de lunettes : ni roses, ni grises : des lunettes plus clairvoyantes sur ce qui est porteur d'énergie, de créativité et de vision dans l'entreprise. Dans un contexte international et national secoué de crise sociale, économique et éthique, l'appreciative inquiry peut offrir un soleil nouveau sur l'horizon des organisations tant privées que publiques. Et Jean Pagès, pionnier convaincu, avec l'appui de son institut (3), vise un développement de cette démarche car elle lui apparait comme l'une de celles qui " permettent la survie et le développement des entreprises par l'expression réelle de leurs forces de vie".
(1) le coaching avec la méthode appreciative inquiry; collection Eyrolles.
(2) l'état de flow parfois traduit flux en français est l'expérience optimale dans laquelle une personne est complétement immergée dans une activité avec un engagement qui lui fait oublier la notion du temps. Cette expérience est relatée dans son ouvrage traduit en français " vivre la psychologie du bonheur"
(3) voir le site de l'institut français de l'appreciative inquiry en lien sur ce blog pour le programme de formation.
fédération francophone de coachs et appreciative inquiry
Deux petites nouveautés sur mon blog à signaler :
- le lien avec la fédération francophone de coachs professionnels à laquelle je viens d'adhérer qui privilégie une approche humanisante du coaching et très ouverte à la diversité des parcours professionnels des coachs.
- le lien avec l'institut français d'appreciative inquiry dans lequel je viens de me former pour devenir praticien appreciative inquiry.
Un mot étrange direz vous "appreciative inquiry"....qui sera bientôt éclairé sur ce site par l'interview du fondateur de cet institut en France, Jean Pagès, un nom bien de chez nous !