Pierre Rabhi et la sobriété heureuse
Un petit homme au teint buriné vient de s'installer à la tribune sous chapiteau installée près de la maison départementale de l'environnement, dans les environs de Montpellier. Applaudissements. Puis une voix douce venant du fond de l'être dit, avec un peu d'hésitation, "Merci " à toutes celles et ceux qui ont fait le déplacement pour l'écouter. Silence d'une assemblée de jeunes et d'anciens captée par un message d'un homme originaire d'Algérie, venu en France et qui est passé par tous les métiers, sur des chantiers comme ouvrier spécialisé, par l'artisanat, l'agriculture. Cet homme s'appelle Pierre Rabhi.(1)
Morceaux choisis d'un moment où le temps s'est arrêté.
" J'avais passé toute une journée à couper du bois avec mon voisin et avec une grande scie de bûcheron. Et le soir, je m'arrêtais pour contempler le cercle solaire qui descendait rougoyant sur l'horizon. J'ai invité mon voisin à me rejoindre et je lui ai dit : " regarde". Il m'a répondu fiérement : " On a fait 10 stères de bois !". Anecdote savoureuse pour montrer le décalage autour de nous entre la dimension économique, productiviste menant au "toujours plus" et l'art de poser ses valises, de s'arrêter pour contempler simplement la nature. La beauté prédispose à l'enchantement. C'est cet enchantement qui est à retrouver dans nos sociétés hâpées par la consommation dans un système aliénant. Nous travaillons dans des boîtes, nous faisons la fête aussi dans des boîtes en y allant avec une caisse. Et à la fin, nous terminons dans des boîtes. Ce système a produit une idéologie trompeuse d'une croissance exponentielle, en standardisant les produits et en tuant la petite économie locale, y compris dans les pays colonisés. Ce système de compétivité où les grandes mutinationales jouent les prédateurs sur les marchés mondiaux conditionne toute une jeunesse avec un slogan " Sois le meilleur !" Or, dans la nature, les animaux prédateurs, comme les lions, se contentent de manger le nécessaire pour survivre, ce qui est loin d'être le cas des dits " prédateurs économiques" qui font du profit au delà des besoins minimum...
L'être humain a vocation à vivre dans une relation de complémentarité, de coopération en redonnant toute leur place aux femmes, protectrices de la vie. Je suis admiratif, dira Pierre Rabhi, des femmes africaines qui , par leur énergie déployée au quotidien, tiennent le tissu social des villages. Nous sommes tous appelés à gravir la montagne pour une vision plus large de notre humanité, et ainsi élever notre conscience. Là se présente une option libératrice du système, qui peut nous sortir du "toujours plus", de notre insatisfaction permanente ou encore du vide intérieur, je l'ai nommée : sobriété heureuse. Sur ce chemin personnel ouvert à tous, il s'agit de se désencombrer du superflu, de sortir de la frénésie de rythmes de vie conduisant au stress et à l'angoisse, de retrouver une unité entre les hommes reliés par une interdépendance. Rêve d'un penseur utopique ?
Non point, Pierre Rabhi, avec humilité, rappelle à la fin de son témoignage, que des réalisations humaines durables existent déjà de par le monde. Le site agricole des Amanins dans la Drôme avec un collectif d'hommes et de femmes revenant à une agriculture biologique, avec un habitat et une consommation d'autogestion, et une école dans laquelle sont enseignés les principes de la coopération. Le monastère orthodoxe féminin de Solan près de Nîmes qui a fait le choix d'une production viticole de qualité fondée sur les principes du développement durable. Ces exemples inspirent d'autres lieux et organisations. Pierre Rabhi croit au changement par tous ces acteurs du terrain, cette société civile qui peut contribuer à des processus de changement plus sûremement que les acteurs politiques trop souvent prisonniers d'un système.
Le colibri est le nom du mouvement lancé par Pierre Rabhi pour sensibiliser les consciences. Une histoire raconte qu'un incendie de forêt s'est déclenché et que le colibri, petit oiseau a pris de l'eau dans son bec, pour arrêter le feu et fait des allers-retour du lac à l'incendie comme un hydravion canadair. Or les mauvaises langues se sont tournées vers lui pour lui dire que ces efforts seraient vain, compte tenu de l'ampleur de l'incendie.
Et le colibri a répondu : "Je le sais mais je fais ma part".
(1) voir aussi sur ce blog "Noêl et la sobriété heureuse."
PLONGER AVEC UN ADULTE ACCOMPAGNATEUR
Enfin, ma respiration se régule. Je ressens les grosses bulles dans l'eau de mer à chacune de mes expirations et je suis moins crispé sur le détendeur dans ma bouche que je serre pour inspirer. A trois mètres de fond, je découvre, pour mon baptême de plongée sous marine, un monde inconnu. Certes, la télévision, avec notamment les célèbres films du commandant Cousteau, m'avaient donné à voir les images toujours belles, impressionnantes, peuplées de formes les plus bizarres de ce monde du silence. Là, j'y suis, le temps semble tourner différemment. Je ressors de l'eau en ayant l'impression d'y être resté 5 minutes alors que je viens d'y passer près de 20 minutes. Ce monde immergé, hors de portée de nos soucis terrestres, m'invite à développer une métaphore.
Comme il serait bon que chaque adolescent et adulte bénéficie d'un accompagnement pour grandir, pour passer des obstacles, pour avancer vers un projet professionnel ! Certains ados et adultes ont la chance de vivre ces passages grâce à un adulte relais, un animateur, un entraineur sportif, ou encore, dans le monde professionnel, avec le soutien d'un coach. Cet accompagnement pourrait s'inspirer de la plongée. Au départ, l'initiateur donne sur la plage puis dans l'eau de manière calme les consignes de base : " cracher dans le masque de plongée pour éviter ensuite la buée, faire un essai d'inspir et expir par la bouche avec ce drôle de dentier dans la bouche appelée détendeur, et reconnaitre les deux gestes de communication. Le pouce faisant un rond fermé avec l'index pour signifier que tout va bien ou au contraire une main s'agitant comme un navire chahuté de gauche à droite pour dire que çà ne va pas." En début d'accompagnement, l'adulte fixe le cadre, rassure et installe une communication qui permet une réactivité de sa part. C'est la base de la relation de confiance : " Il me dit clairement que j'ai le droit d'être mal et que je peux l'appeler avec telle modalité ( téléphone, courriel, ...)". C'est la plongée, je sens la présence proche et même la main de mon initiateur qui me fait descendre au fond. Avec un adulte de confiance, j'ose aller au fond de moi, regarder mes zones d'ombre qui bloquent ou freinent ma dynamique de vie. Ma bouteille de plongée me préoccupe un peu car elle balotte sur mon dos et j'ai la hantise qu'elle me retourne comme une crêpe. Que se passerait-il si j'étais retourné sur le dos ?! Que se passerrait -il si mon projet tournait court, si je rencontrais une difficulté inattendue ? Notre cinéma intérieur risque de reprendre le dessus. Pourtant, mon initiateur détourne mon attention sur la présence d'un poulpe caché dans la fissure d'un rocher et qu'il éclaire de sa lampe. Rencontre étonnante, à quelques centimètres de moi. En fait, je n'ai pas peur. Je commençe à me sentir "poisson" au milieu de ces poissons au profil très diversifié, des petits recroquevillés aux longs en forme d'anguille, qui passent, qui trottent sur le sable et se cachent. L'accompagnateur est là pour nous aider à orienter notre regard, non pas sur nos peurs et nos blocages, mais sur la Vie, sur la beauté qui s'offre à nous et nous donne ce goût d'avancer, d'explorer.
Moment sublime, l'initiateur a senti que je passais un cap , mes muscles se détendent, ma propulsion avec les palmes est plus tranquille, et ma respiration plus ample et régulière. Je me sens bien tout simplement dans l'instant à vivre. Il me propose alors cette expérience forte. Je m'arrête d'agiter mes palmes et mes bras, et comme un parachutiste en vol libre avant le déclenchement du parachute, j'ouvre mes bras en croix et je "flotte" dans l'eau marine. Le temps s'est arrêté, je n'ai plus à agir, je goûte la sensation d'unité avec ce nouveau milieu. L'accompagnateur attentif à la progression de l'ado ou de l'adulte qu'il accompagne peut lui lâcher la main, l'inviter à regarder où il est arrivé, à prendre le temps d'apprécier ce qu'il vit hic et hunc, ici et maintenant sans chercher le "toujours plus". J'émerge de l'eau, je suis presque déçu que la ballade sous marine soit déjà finie, j'aurais presque envie de replonger dans ce monde du silence. Un monde où la communication avec l'autre est sans parole, par le geste ou le regard. Une communication qui va forcément à l'essentiel de manière non verbale " Cà va ?" , " Regarde, ici" , " C'est super !", une communication transmise par l'eau. Combien un accompagnateur gagne en présence à l'autre en se branchant directement sur l'expression non-verbale de l'accompagné ! Un "Cà va bien" avec un regard triste ou un front plissé cache une autre vérité.
Masque retiré, capuche de la combinaison isothermique relevée, je reprend contact avec le monde terrestre. Je me sens presque euphorique, est ce l'effet d'une forme de suroxygénation liée à la consommation de l'air dans la bouteille de plongée ? Je retrouve la parole. Une chose a changé : je sais maintenant qu'il existe un autre monde, un monde sans parole, un monde de sensations, un monde dans lequel le temps horloge n'existe plus. Un monde qui nous vide de nos soucis et nous remplit de quelque chose d'indicible, de quelque chose que l'on a envie de retrouver.
Plongés dans nos quotidiens souvent tumultueux, en forme de zapping à travers de multiples sollicitations, nous rêvons d'un monde idéal, d'un monde à notre écoute, d'un monde plus simple. C'est un rêve légitime. Ce monde peut exister à condition de le faire exister. C'est une question de plongée en soi, au fond de soi, de respiration, d'attention à l'ici et maintenant. C'est possible, de plus en plus d'hommes et de femmes ouvrent ce passage dans le monde.
BONNE NOUVELLE POUR LES PERFECTIONNISTES
Je n'aime pas connaitre l'échec, j'évite de vivre des émotions douloureuses, j'ai tendance à les renier que ce soit la colère ou la tristesse, j'ai un peu de mal avec la réussite car il me faut toujours faire mieux qu'avant. Enfin, je me sens dans un monde qui ne correspond pas à ma vision idéalisée et ce constat me crispe, me tend et moi- même, je ne suis pas celui que je voudrais être. Qui suis-je ?
C'est, vous l'avez peut être décodé en une fraction de seconde, quelques traits caractéristiques du perfectionniste. Tal Ben-Shahar, le professeur du bonheur de l'université d'Harvard (1) nous propose un beau parcours à travers son ouvrage " l'apprentissage de l'imperfection" (2) . Avec son sens pédagogique , il invite à des pauses régulières dans la lecture du style : "vous reconnaissez vous dans certains traits de caractère associés au perfectionnisme ? Quels retentissements ont-ils sur ce que vous vivez ?" Les traits cités étant : la recherche d'un parcours en ligne droite, la peur de l'échec, la concentration dominante sur la destination, la cible plutôt que sur le chemin, un angle d'opinion branché "tout ou rien", une attitude défensive, une attitude tatillonne, une rigidité, voire une attitude statique. La bonne nouvelle se situe dans la deuxième partie de l'ouvrage répondant à la question éternelle : comment sortir de la prison du perfectionnisme ?
Tal invite les perfectionnistes du monde entier à ouvrir trois portes, trois passages : l'acceptation de l'échec, l'accueil de toutes les émotions y compris désagréables et en définitive, l'accueil de la vie ici et maintenant dans le présent. Concernant l'accueil de l'échec, lui même a été champion national de squash dans son pays d'origine, Israêl et a eu le désir fort de devenir champion du monde. Déterminé à le devenir, il est parti en Angleterre pour "coller" aux entraînements du champion du monde de l'époque. Dans un premier temps, au contact de son idole, il progresse. Mais, il y a un mais, il est conduit à un entraînement de plus en plus intensif : les blessures arrivent, bénignes puis plus graves.Et un jour, sur le point de gagner un grand tournoi en final, il est pris de crampe au pied et au bras. Alerté par son médecin et perclu de douleurs, il dut renoncer à son rêve de devenir champion du monde.
Est ce que cette histoire vous parle ?
L'acceptation de l'échec, c'est reconnaitre ses limites physiques, intellectuelles, ou encore émotionnelles et , comme les formateurs en programmation neurolinguistique le disent avec humour, l'échec est un retour d'information sur soi qui n'est pas synonyme de culpabilité. Ce chemin de l'acceptation conduit à l'analyse de ce que l'on appelle " échec", dans la perspective d'en tirer des enseignements sur soi et sur son futur. Le perfectionniste risque de ruminer de manière obsessionnelle autour de la question " Bon sang, qu'est ce que j'ai loupé pour ne pas réussir ?" Et vous remarquerez que la forme de cette question n'a pas grand chose à voir avec celle ci : " Si demain, je me retrouve devant la même situation et le même contexte , qu'est ce que je pourrais expérimenter de différent ?".
Deuxième porte, accueillir ses émotions. Nous retrouvons toute la saveur de la culture de l'intelligence émotionnelle, l'intelligence du coeur. Parfois des perfectionnistes ont dressé un mur intérieur entre leur raison, leur cerveau et leurs émotions. Surtour penser, analyser, extrapoler, cogiter, mais ne pas aller "sentir cette sensibilité " qui remue au fond de moi. " Qui ne sait pas pleurer de tout son coeur ne sait pas rire non plus". Il ne s'agit pas de ressasser sa colère contre soi suite à un échec mais de ménager un canal en soi pour accueillir cette émotion sans se laisser nécessairement déborder. " Ok, j'ai l'impression d'avoir perdu du temps, louper un projet, égarer un dossier important, mis à mal une relation, cet ami...j'en suis tout bouleversé, triste, défait. J'accuse réception en moi sans flagellation. Je respire pour laisser passer ses émotions, j'accueille cette vie qui passe. C'est comme si l'émotion sortait du coeur, de notre moi profond pour glisser au dehors. Je me remets debout et maintenant que j'ai " nettoyé " mon sac émotionnel, je peux reprendre le chemin. Or, contrairement à la vision de beaucoup de perfectionnistes ou idéalistes, le chemin de notre vie n'est pas comparable à une ligne droite qui monte vers un 7ème ciel : j'ai vécu une enfance difficile, je vais vivre une adolescence plus heureuse et je vais m'éclater à l'âge adulte libéré de tout. Le chemin de chacun, y compris des "people" , est souvent sinueux, parfois dans le brouillard, creusé ici et là, avec des creux, des rétrécissements, des intersections, des ronces qui obligent à trouver un passage...Tal Ben-Shahar revient sur la force de la gratitude comme ingrédient de l'acceptation du réel. Ainsi, la lettre de gratitude envoyée à une personne à qui l'on est particulièrement reconnaissant est un acte d'altruisme non seulement bénéfique pour le destinataire mais aussi pour l'auteur, et ceci est démontré par des travaux en psychologie positive.
Parmi les pistes multipes proposées par Tal Ben-Shahar, j'ai relevé le PRP, non pas le Perfectionniste Redoutable et Parfait mais le schéma : Permission-Reconstruction- Perspective. Application. Cette semaine, j'avais une journée importante de formation à Paris. Mon train arrivant de Montpellier en gare de Lyon à Paris vers 9h 20, le lieu de formation était prévue avenue Georges V à 9h 30. Je convenais déjà que j'arriverais à priori vers 9h 45 sachant que le quart d'heure national de retard me serait favorable. Mais le plan cogité la veille ne donna pas le résultat attendu. D'abord, mon ticket de métro refusa de m'ouvrir le passage automatique et je dus faire une longue queue pour redemander des tickets valides. Puis, pensant gagner du temps en prenant le RER parisien, je dus en premier lieu attendre son départ et comble du comble, contrairement à ce que j'avais anticipé, il s'arrêta à toutes les petites stations. Enfin, j'arrivais au pont de l'Alma et partit dans le mauvais sens pour ensuite retraverser la Seine. Résumé : je suis arrivé après les 10 coups de 10 heures. Permission : je me relâche durant toutes ses contrariétés remettant en cause le plan de la veille, et j'accueille l'humain en moi, je me donne la permission d'être humain, là avec mon retard prévu. Certes, je suis contrarié, je risque de manquer le début de l'intervention très attendue d'un spécialiste des neurosciences. Reconstruction : après tout, c'est un bel exercice d'orientation dans Paris et le petit pas de course me prépare pour...la course que je ferai Dimanche. Vous l'avez compris, il s'agit de passer d'une vision négative du vécu à une vision positive.Reconstruire,c'est aussi, de manière cognitive, se formuler à soi-même un recadrage positif. Et alors, s'ouvre la Perspective : dans cette semaine, ce jour, cette 1/2 heure de retard a t'elle vraiment un poids lourd de conséquences ? Ma vie est-elle en jeu ? Oui, si je cours sans regarder en traversant une rue animée de Paris ! Alors, stop, je reprend la marche pour arriver au lieu de formation. J'ouvre la porte : le groupe est certes installé et je comprends instantanément que le conférencier renommé va tout juste commencer ! Je n'ai rien perdu !!
Plus généralement, le perfectionniste voit de la contrariété partout dès que le plan prévu dans sa tête n'est pas respecté au millimètre près. Avec un entraînement de type PRP, il apprend patiemment à devenir bienveillant, indulgent avec lui-même avec un double effet : un relâchement de sa tension physique et nerveuse et, de manière contagieuse, une plus grande tolérance dans le regard sur les comportements de ces autres "imparfaits" autour de lui.
" Je m'appelle Tal et je suis un perfectionniste. La nécessité d'accepter que ce perfectionnisme ferait toujours partie de ma vie a représenté pour moi une véritable libération." Et oui, prudemment , seulement à la fin de son ouvrage, Tal dévoile que c'est un vrai perfectionniste qui a écrit et montre ainsi le combat mené avec lui-même...jusqu' à devenir professeur de psychologie positive à Harvard.
Je m'appelle Michel et je reconnais, au fond de moi, une part de perfectionnisme. J'apprends à vivre avec, avec patience, humour et relativité. Et j'espère que cet article est imparfait, à relativiser, à nuancer, bref qu'il admet toute critique. Alors, bonne nouvelle pour vous lecteurs "perfectionnistes", lâchez vous et libérez votre créativité pour réagir .
(1) voir article sur ce blog : le rituel, une stratégie pour changer.
(2) " l'apprentissage de l'imperfection", TAL BEN-SHAHAR; collection Belfond.
ASSEOIR SON AUTORITE AVEC LES JEUNES
C'est la rentrée. Rupture d'un temps libre ou de job d'été pour les jeunes qui vont reprendre le chemin des études; l'heure de se remettre dans la "peau" de l'enseignant pour ces milliers d'instituteurs et professeurs des écoles en collèges et lycées dont les nouveaux vont affronter pour la première fois une salle de classe. Le film "Entre les murs" , palme d'or en 2008 au festival de Cannes, a rappelé, avec réalisme, l'enfer vécu par un certain nombre de ces enseignants malmenés par des élèves pour qui le système scolaire n'a plus ou peu de sens car déconnecté pour eux d'une garantie d'insertion professionnelle ou lié encore à l'échec à répétition. Dans cette ambiance de questionnement permanent sur un système scolaire à la recherche d'un second soufle, un groupe d'auteurs pluridisciplinaire (1), sortant de la torpeur et de la croyance " le système , ce mammouth, est non réformable" ose pointer des propositions très concrètes. Pour ma part, j'ai retenu ce que nous pourrions appeler les 4 pieds d'une autorité équilibrée et acceptable.
Premier pied : la loi, c'est à dire le règlement de la vie dans l'établissement. Sans loi, le jeune n'a pas de repères sur ce que l'institution autorise, interdit, recommande. C'est finalement l'élaboration de règles de vie collective qui contribuent à un "vivre ensemble" social harmonieux ou du moins acceptable. A titre d'exemple, jouer au ballon de basket dans une cour de récréation peut permettre à des jeunes de se défouler. Mais si ce sont 50 jeunes qui tapent le ballon avec un bruit d'enfer, le confort des autres est mis à mal : la règle vise à poser la ligne d'équilibre entre liberté des uns et acceptabilité pour les autres.
Deuxième pied : la participation des élèves eux mêmes à l'élaboration des règles de vie en classe. Ce corrolaire au premier pied reste fondamental. Chacun sait bien que l'on adhère d'autant mieux à une règle que l'on y a participé ou au moins été consulté. D'ailleurs, la participation enrichie la règle car les élèves ont souvent l'art de pointer des situations spécifiques, des exceptions à prendre en compte. Evidemment, cela suppose que la règle admette une certaine souplesse de négociation. L'interdiction de fumer dans les enceintes des établissements scolaires est non négociable car émanant de la loi largement rappelée par des textes d'application. Cependant, le constat de véritables "fumodromes" devant le portail de nombreux lycées en France parait peu cohérent avec l'incitation des pouvoirs publics à réduire le tabagisme notamment chez les jeunes. Ici, une réflexion concertée entre direction de l'établissement, enseignants ( fumeurs et non fumeurs) et lycéens pourrait conduire à des solutions permettant de donner plus de sens à la loi...
Troisième pied : le respect mutuel manifeste par des rituels de politesse, d'écoute, de prise de parole et d'entraide. Ce qui pourrait apparaitre comme aller de soi ne l'est plus forcément aujourd'hui avec des modèles d'éducation qui ont pu reléguer au second plan ce que ma génération du baby boum a vécu de manière très imprégné dés l'enfance : les fameuses règles de politesse. Effectivement, si ces règles ne sont vécues que comme contraintes ou soumission à l'adulte dominateur, chacun peut comprendre qu'elles soient bafouées. Or si l'on reprend sens sur ces rituels, une ouverture est à espérer. Rappelons nous que la poignée de main signifiait originellement montrer à l'autre que l'on avait pas d'arme cachée et que ce geste signifiait :" Tu vois, tu peux me faire confiance." Le "bonjour" est aussi une manière de manifester une attention humaine dans un monde grouillant. Pour ma part, je suis toujours étonné de constater que, sur les chemins de randonnée en montagne, le bonjour aux randonneurs croisés va de soi, parfois ponctué,quand la pente est dure, d'un "bon courage" alors que revenu sur le sol urbain, comme sur une autre planète, il aurait tendance à disparaitre. La pédagogie inviterait donc l'enseignant à expliciter le sens du rituel. Je me rappelle, quand j'étais collégien, que nous nous levions à l'entrée du professeur dans la classe. Je ne suis pas sûr que ce rituel de simple respect soit encore beaucoup utilisé dans nos collèges et lycées.
Quatrième pied : la sanction juste, réparatrice, auto-éducative avec le souci d'apporter des réponses urgentes, personnalisées aux jeunes notamment ceux en grande difficulté. Nous touchons là un domaine très sensible qui a fait l'objet de nombreuses réflexions et travaux. Qu'est ce que la sanction juste ? Juste pour le donneur de sanction ? Juste pour le sanctionné ? La sanction comporte toujours deux dimensions : la sanction normative inscrite dans le règlement intérieur ( avertissement, blâme, exclusion provisoire, exclusion définitive....) et le retentissement dans l'affectivité du sanctionné. Un simple avertissement pour l'autorité éducative peut signifier " attention, en cas de récidive de transgression de la règle x, la sanction sera plus lourde" et être reçue durement pour un élève peu habitué aux sanctions et à l'opposé comme une simple formalité pour un "transgresseur coutumier du fait". De mon point de vue, je rejoint l'importance d'une sanction qui soit donnée rapidement après les faits problématiques constatés ( car le temps pour l'adolescent efface les choses et une sanction donnée un mois plus tard par rapport à un fait peut lui sembler incohérent ou exhorbitant) et je partage l'avis de nombreux éducateurs d'utiliser le temps autour de la sanction ( écoute, explication, médiation, conseil de discipline...) pour aider les auteurs d'un comportement de transgression à mesurer les conséquences de leur acte et à répondre, quand ils le pourront, à la question suivante : " Et maintenant, si tu te retrouves dans la même situation demain, qu'est ce que tu pourrais faire ou dire pour respecter la règle, l'autre ?"
Ces quatre pieds peuvent soutenir, asseoir l'autorité plus solide, plus légitime de l'enseignant. Cependant, je recommande aussi l'usage d'un dossier que j'appelle : contrat de confiance. Une fois, l'explication des quatre pieds aux élèves par l'enseignant, celui ci pourrait faire une pause, regarder tranquillement ses élèves et avec un ton adapté leur poser la question : " Et maintenant, êtes vous chacun ok pour accepter, respecter ce cadre, et si besoin, venir en discuter si un point vous semble à revoir ?". Ce moment clé de rituel est une manière de poser ce contrat entre l'institution et les élèves. Et il serait juste aussi ,comme dans tout contrat qui précise les engagements de chaque partie, que l'enseignant expose aussi ses propres engagements éthiques.
Avec cette chaise bien stabilisée sur ses quatre pieds et son dossier pour s'y appuyer avec confiance, je souhaite à tous les enseignants de France et d'ailleurs de prendre le temps de goûter cette assise qui leur évitera de se lever trop souvent pour crier et ramener l'ordre !
(1) ouvrage : Donner toute sa chance à l'école : treize transformations nécessaires et possibles...
Chronique sociale. 2011