chat perché sans étiquette
Un jeune homme blond à la coiffure rasta est installé, assis sur le sol, l'air paisible au pied d'un arbre au coeur de la belle cité de Montpellier . Au dessus de lui, levant les yeux sur le grand platane, j'aperçoit une installation sommaire de plancher de bois sur plusieurs niveaux . Une maison dans les arbres ! Sans toit, sans murs, et manifestement très sobre, je devine un sac de couchage et quelques unstensibles. Ma curiosité naturelle me pousse à ouvrir le dialogue.
- Vous dormez dans l'arbre la nuit ?
- Oui, nous nous sommes installés là, me répond de manière posée le jeune homme, bientôt rejoint par une jeune fille, manifestement sa compagne.
- Vous gérez un parcours acrobatique dans les arbres ?
- Non, on est là pour faire la révolution intérieure, pour changer le monde et montrer qu'on peut vivre comme çà.
- Ah, bon. Vous faites sans doute partie d'un mouvement ?
- Non, nous ne voulons appartenir à aucun mouvement même si nous en connaissons.
Un homme plus âgé le rejoint et m'explique qu'il est voisin et qu'il ne peut plus dormir chez lui le soir car il fait trop chaud et qu'il rejoint ce jeune couple pour occuper l'espace public.
Ma curiosité est vraiment aiguisée : ce jeune homme n'est pas un sans domicile fixe, n'est pas apparenté à un mouvement, ne se réclame d'aucune cause politique !
- Et comment faites vous pour vivre ?
- Vous savez, quand on fait les marchés et les poubelles, on trouve toujours quelque chose à manger. Il y a tellement de gaspillage. Et ici, à part manger, nous n'avons besoin de rien d'autre.
Et l'homme, plus âgé, de donner sa version de leur expérience :
- Ils ne veulent pas qu'on leur donne une étiquette. Ce ne sont pas non plus des indignés. Moi, je les appelle les chats perchés.
Enfin, je les quitte en leur souhaitant "bonne continuation" dans leur expérience d'occupation de l'espace public, dans la sobriété, la non violence et sans étiquette idéologique.
Que dire de cette expérience ?
Elle me scotche car elle est vraiment hors de nos schémas de pensée habituelle. Et si cette manière de vivre était une façon de rechercher une forme de liberté dans une société contrainte par la compétivité et l'individualisme. Nous ne sommes plus dans un mouvement hippie des années 60 avec "peace and love" et je serais tenté de donner un nom, une étiquette à cette expérience singulière et isolée. Or, ce qui me vient, c'est encore une question : cette expérience de s'affranchir des contraintes sociales ( pas de taxe d'habitation, pas de contrat de travail..) tout en occupant un domaine public ( avec une tolérance de l'autorité publique) est-elle vraiment durable ?
Demain, verrons nous au coeur de nos ville, des nouveaux habitants dans les arbres, des chats perchés sans étiquette ? En tout cas, si j'ai entendu un désir de ces "chats perchés", c'est que leur expérience incite d'autres à faire de même. Utopie naîve ou anticipation d'un monde qui va revenir vers une forme de sobriété à contre courant de la société de consommation ?
Bref encore une question ! Je reconnais que ces jeunes m'ont touché avec leur manière soft, non agressive et tranquille et m'ont remis sur la voie du questionnement ouvert des modes de vie sociale et contrastés dans notre XXIème siècle.
LES TAXIS JAUNES DE TUNIS
"40 euros pour aller à Tunis, c'est pas cher !" ...."Et vous êtes 4 !", notre homme tunisien et chauffeur de taxi jaune ne nous lâche pas d'une semelle. Un autre arrive, marchande aussi : " Je suis le moins cher, vous ne serez pas déçus ! Allez ,montez et vous aller découvrir Tunis !". Nous venions à peine de sortir du bateau croisière sur le quai de la Goulette, port commercial à 25 kilomètres de Tunis, que nous nous sommes retrouvés assiégés par une armada de chauffeurs de taxis jaunes.
En fait, avec un couple québéçois, et mon épouse, nous étions résolus à être autonomes et à prendre le train réputé moins cher. Nous ne savions pas encore le combat qui nous attendait .
Arrivés à la petite gare à un kilomètre du port, le guichetier nous indique qu'il ne prend pas l'euro . Etonnant alors que nos chauffeurs de taxi étaient tout à fait prêts à l'accepter. On nous invite gentillemment à faire le change en dinar tunisien. Or les banques dans ce petit bled sont encore loin, nous dit-on et pas encore ouvertes. Nous ne nous décourageons pas et arpentons les 500 mètres jusqu'à la prochaine banque, toujours suivis de près par une escorte jaune non sollicitée. Surprise, l'homme au guichet refuse de faire le change ! Il nous indique une autre banque voisine. Là, l'homme du guichet nous dit qu'il n'a pas encore le cours de la journée...alors que nous sommes en train de découvrir le panneau dans le hall d'accueil ! Bizarre, bizarre, comme c'est bizarre. Nous retournons à une troisième banque, même scénario, le change n'est pas possible mais l'homme qui ressent notre pression montante nous indique finalement la banque postale. Et là, miracle, après avoir patiemment fait la queue, nous recevons nos précieux dinars en demandant un reçu. C'est seulement à ce moment que nous découvrons que notre escorte jaune s'est volatilisée. Le train nous emmena en 20 minutes au coeur de Tunis pour l'équivalent...d'un euro par personne.
Je connaissais la mafia italienne mais je n'avais pas connaissance de cette forme de mafia tunisienne dans laquelle les guichetiers des banques font tout pour dissuader les "riches" européens de changer de l'argent et tout pour qu'ils s'en remettent à leurs complices chauffeurs de taxi. Peut être que l'image peut vous paraitre un tantinet excessive car personne n'est mort et personne n'a été volé ( sauf peut être tous ces millions de touristes qui prennent le taxi sans marchander). Cependant quelle image de la Tunisie contrastante avec celle d'un peuple qui avait réussi un an plus tôt la première révolution africaine sans violence obligeant le président dicdateur Ben Ali à quitter le pays précipitamment. Nous sommes loin dans cette pratique de la révolution du Jasmin.
Epilogue. Heureusement, au cours de notre découverte de la Médina, le grand bazar ou souk de Tunis, nous avons eu la chance de rencontrer un guide non arnaqueur qui nous fit découvrir la ville et son histoire en nous offrant un thé vert aromatisé de menthe et de citron, à l'ombre d'un café bien tunisien. Un moment très agréable et convivial après la course avec harcèlement du matin.
Moralité liée à la psychologie positive : éviter de se laisser enfermer par la première image d'un pays et prendre le temps d'en voir d'autres facettes. Après le Jasmin et sa révolution, je garde en mémoire sensorielle le goût de ce thé vert à l'ombre d'un café tunisien au coeur de la Médina avec cet ancien policier en reconversion.
Si vous posez demain le pied sur le port de la Goulette, vous savez ce qui vous attend et vous avez le choix : le taxi jaune ou le train en passant par la banque postale. La liberté de choix est un bien précieux qui ne se brade pas.