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Le blog de Michel BERNARD

Joanna Macy, trois scenarios pour le futur A vous de choisir.

31 Juillet 2019 , Rédigé par Michel BERNARD

Elle a finalement accepté l’interview sollicitée par Julien Vital, français de 29 ans. Ce qui l’avait séduit dans sa demande, c’est sa formule très spontanée «  Je suis encore jeune. Je suis bouleversé par les annonces de réchauffement climatique. J’ai la conviction que les gouvernements savent mais ne prennent pas les mesures qui s’imposent. Or je sais que votre vision peut changer le monde. »

Joanna Macy a déjà plus de 50 ans de militantisme engagé pour la protection de la terre et la paix dans le monde. Elle sait qu’à 90 ans, son temps est compté même si elle a limité les grands voyages pour préserver sa santé. Reconnue d’abord comme professeur aux Etats-Unis, elle est devenue au fil de son combat une référence dans le monde encore peu visible des écopsychologues.

  • Merci Joanna pour votre accord pour cette interview via skype. Je suis très reconnaissant. Pour commencer et éclairer notre lanterne, comment définissez-vous aujourd’hui ce courant dénommé écopsychologie.
  • Pour ma part, je m’évite des étiquettes toutes faites. Je reconnais cependant qu’il y a une communauté de recherche, de convictions à une échelle internationale et européenne qui émerge depuis les années 70. Elle repose sur les postulats suivants que la science démontre :

Nous sommes tous interconnectés entre êtres humains et entre êtres humains et la nature.

Nous sommes reliés par un lien profond lié à l’histoire de la terre.

C’est l’oubli de ce lien, par les générations, qui a provoqué dégradations écologiques, déséquilibres climatiques et une société hors sol qui surconsomme depuis notamment le XXème siècle.

L’enjeu de l’écopsychologie est d’ouvrir un champ de recherche transdisciplinaire qui étudie les interrelations profondes entre la terre et la psyché humaine dans une dimension consciente et inconsciente. Le chemin d’une restauration de notre terre passe par une transformation intérieure de chacun.

  • Quand vous commencez vos conférences, vous faites souvent référence à trois histoires, trois scénarios du futur. Pourriez-vous les résumer ?
  • En fait, ce sont déjà des histoires dans lesquelles chacun pourra se retrouver. Leur prolongement dépendra du nombre de terriens qui feront des choix conscients pour le futur.

Première histoire : on fait comme d’habitude, comme si de rien n’était. C’est l’histoire racontée par la plupart des gouvernements et dirigeants politiques .De leur point de vue, l’économie doit et va continuer de croitre. Même s’il y a des périodes de récession, elles sont provisoires. Et bien sûr, pour soutenir ce mythe de la croissance continue, il faut encourager la consommation de biens en tout genre. Et puis les problèmes de pays « lointains » touchés par des climats de plus en plus insalubres, par des catastrophes naturelles plus fréquentes ( inondations, cyclones…) ne nous concernent pas. Continuons notre vie de consommateur comme nos parents. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter car la science et les technologies trouveront des solutions. Et la nature est une matière première à exploiter pour les besoins de l’homme.

  •  La deuxième histoire, je la nomme « la grande Désintégration » : Elle est fondée sur la prise de conscience que les ressources de la terre s’épuisent réellement, que le réchauffement climatique s’amplifie malgré les alertes lancées par les scientifiques du GIEC (Groupe Intergouvernemental des Experts du Climat). De nombreuses espèces sont en voie d’extinction. Et l’écart entre les plus riches et les plus pauvres continue de se creuser. Plus de 900 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté alors que 20%  de la population mondiale se partage les ¾ des revenus au niveau de la planète. Et nous nous attendons dans un avenir incertain (dans 10 à 20 ans) à une catastrophe planétaire, voire à une fin de civilisation comme le suggèrent l’école de la collapsologie incarnée notamment par le sociologue Pablo Servigne.
  • L’histoire «  On fait comme d’habitude » et l’histoire « La grande désintégration » nous servent deux réalités qui cohabitent dans le même espace-temps. Chacun de nous peut passer sa journée en mode « on fait comme d’habitude » et planifier son avenir, sa retraite comme si tout allait continuer comme avant. Et le soir, relancé par certaines émissions dans les médias, des lectures, chacun peut se sentir rejoint dans le scénario du pire, de la catastrophe annoncée…
  • Ces deux scénarios n’ont rien d’emballant entre déni de la réalité et émotion paralysée par l’idée d’une récession sans précédent ou encore d’une catastrophe.
  • Enfin, la troisième histoire « changement de cap » nous rappelle que la source de l’enthousiasme est de s’engager activement pour la vie sur Terre avec courage et dans une perspective solidaire. Le film « Demain » réalisé par Cyril Dion, écologiste militant et Mélanie Laurent, actrice offre un beau panorama des initiatives qui fleurissent à travers le monde de personnes de toute condition qui s’engagent dans leur quartier, dans leur ville ou village pour faire face et résister aux ravages crées par l’économie productiviste et industrielle de masse.
  • Pour choisir ce troisième scénario, j’ai quand même le sentiment qu’il y a besoin d’un réel changement de conscience individuelle et collective ?
  • Vous avez tout à fait raison, Julien. J’ai acquis l’intime conviction que la transformation de notre monde passe d’abord par la transformation de soi. Cette transformation est d’abord un travail sur soi pour retrouver notre sentiment profond d’appartenance au monde, développer notre gratitude et compassion envers la terre. Cette transition intérieure dépasse la simple réflexion intellectuelle pour vivre une reconnexion émotionnelle et affective avec la Nature susceptible de bouger réellement nos comportements.
  • Comment concrètement réaliser ce travail sur soi pour vivre ce changement de conscience écologique ?
  • Depuis les années 1970, j’ai conceptualisé un atelier ouvert à tous et diffusé à des centaines de milliers de personnes de tout milieu, de toute religion et de tout âge. Je le nomme aujourd’hui : the work that connect , le Travail qui relie. C’est un processus en spirale qui vise à développer nos ressources intérieures de manière collaborative pour renforcer notre force de résilience  et trouver sa « place » dans ce monde en mouvement.
  • Un dernier mot, Joanna, pour nos lecteurs ?
  • Quand des personnes sont capables de dire la vérité sur ce qu’ils savent, voient et ressentent par rapport à ce qui arrive à la Terre, une transformation se produit. On observe une détermination accrue à agir et un appétit de vivre renouvelé. Aussi, je souhaite à chaque lecteur et lectrice de retrouver cet appétit, ou encore de le préserver dans un esprit de partage.
  • Merci, Joanna. Merci pour cette voie d’ouverture pour nous (r)éveiller aux cris de la Terre, accueillir nos sentiments de peur, de tristesse, voire d’impuissance pour nous aider à les sublimer en source d’espérance et d’action.

 

Pour aller plus loin :

La méthode «  le travail qui relie » est développée dans « Ecopsychologie : pratique et rituels pour la Terre. »Joanna Macy et Young Brown ; éditions Le souffle d’or.

Cet interview fictif est largement alimenté par des éléments d’analyse et de conviction puisés dans le dernier livre de Joanna Macy traduit en français : « l’espérance en mouvement ».(2018 ; Labor et fides)

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