La distanciation physique, un nouveau mode de vie ?
La crise sanitaire du coronavirus nous a imposé, par voie réglementaire depuis bientôt 5 mois, de respecter les gestes barrière dont la distanciation sociale que certains d’ailleurs préfèrent requalifier en distanciation physique. Rappelons, même si cela devient une évidence collective, que c’est l’obligation de respecter une distance d’au moins un mètre avec les autres personnes dans tout espace public extérieur et intérieur. Le protocole du ministère du travail pour les entreprises l’a largement explicité concernant la phase de déconfinement à partir du 24 juin 2020.
Certes, l’argument de protection sanitaire doublé notamment du port du masque est incontestable si notre pays veut enrayer cette pandémie et éviter ce que chacun redoute au fond, une deuxième vague.

Ainsi, nous avons collectivement pris de nouvelles habitudes remplaçant poignées de main entre collègues, embrassades au sein de cercles familiaux. Certains tentent de garder un pseudo contact avec le « toucher du coude » ou encore celui du pied quand d’autres préfèrent le léger salut à la japonaise avec une inclinaison du buste. Bref, depuis combien de temps n’avons-nous pas tendu une main (geste symbolisant à l’origine que je n’ai pas de couteau caché dans ma main…) ou offert un baiser ou une embrassade auprès de nos proches ?
De manière plus ou moins consciente, nous sommes en train de fabriquer de nouvelles habitudes sociales avec un réflexe qui devient de plus en plus naturel « Bonjour , collègue, et dans ma tête ,stop, je n’avance pas plus ! ». Ce réflexe de distance physique renforcé dans le monde du travail par la période de confinement qui a placé beaucoup de salariés en télétravail ne veut peut être pas dire rupture du lien social mais quelque part , quelque chose a changé.
Pour ma part, j’observe des effets d’abord positifs notamment dans la file d’attente des boulangeries, c’est l’espace entre les clients où nous évitons la compression du nombre et nous respirons cette distance qui me semble acceptable car le service reste le même dans son rythme. Cette remarque vaut pour beaucoup d’espaces commerçants. Et puis, la culture de l’attente plutôt que « dépêchons nous, je suis pressé ! » est une belle invitation à ralentir nos rythmes de vie.
Cependant, dans l’espace familial, il semble difficile de respecter ce protocole de distanciation pour des grands parents avec des petits enfants qu’ils n’ont pas vu pendant trois mois et qu’ils retrouvent avec joie à partir de la phase de déconfinement. Le bisou de tendresse a beaucoup de sens et d’impact des deux côtés.
Et la tentation est grande en période de vacances, de relâchement après cette période très inédite et particulière du confinement, de revenir à une proximité des corps signifiant une proximité du lien social.
Quel message notamment communiquer à des jeunes tentés de se retrouver dans des espaces confinés en boite de nuit ( vu sur un reportage télévisuel) ou en soirée festive collés les uns aux autres et se mettant en danger direct de contamination collective par le virus ?
En matière d’obligation, la règle s’applique à tous.
En la matière, avec conscience, chacun est « encouragé » à trouver « la bonne distance », celle de la protection de soi et d’autrui et d’inventer une forme autre pour préserver la qualité du lien social.
Suggestion : et si nous reprenions davantage contact par les yeux, miroir du cœur pour nous connecter les uns aux autres. Je pense à un exercice que je pratique à la fin d’une séance de méditation en silence en cercle quand je propose aux participants : « Sans parole, je vous invite à regarder un par un tous les autres participants et à retrouver une connexion du regard avec chacun. »
Et puis, qu’est ce qui empêcherait de trouver une manière distanciée et humaine de saluer notre collègue, notre voisin, notre proche par un rituel intériorisé en silence ? Je t’aperçois, je m’avance, je m’arrête à distance et intérieurement, je t’accueille…
Au commencement du monde...
« Nous sommes au commencement du monde, toujours au commencement de la création. »

Parole visionnaire du mystique d’origine suisse, Maurice Zundel (1897-1975).
Ce commencement peut s’incarner quand nous nous donnons l’occasion de venir observer un lever de soleil dans l’aube matinale. Nous nous préparons avec un lever dans la nuit. Nous nous rendons sur le lieu. En l’occurrence, mon expérience récente avec mon fils, fut le pic Saint Loup près de Montpellier, promontoire rocheux qui domine le golfe du Lion. Une montée d’environ trois quart d’heures depuis le village de Cazevielle endormi puis l’arrivée au sommet 600 mètres au-dessus du niveau de la mer, et l’attente en guettant à l’Est l’astre solaire. Annoncé à 6h 9 minutes, le soleil était bien au rendez-vous ! Et à ce moment-là, les mots sont vains, nous sommes tout absorbés par cette éclosion de lumière qui réchauffe l’horizon et nous touche quelque part dans l’intérieur de notre être.
« L’émerveillement est le moment privilégié où nous sommes soudain guéris pour un instant de nous-mêmes »
Cette deuxième parole de Maurice Zundel me rejoint bien dans cette expérience à la fois simple et lumineuse du lever de soleil. Tous mes sens sont captés dans la même direction : la vue sur la montée de l’astre, les oreilles qui captent une forme de silence recueilli au sommet, le goût de renouveau et le nez fouetté par un petit vent.
De quelle guérison parle l’auteur ?
Pour ma part, je l’interprète comme une reconnexion à la beauté de la terre, du soleil, de ce qui est là avec moi sans chercher « midi à quatorze heures ». Cette simple et immédiate reconnexion évacue toute ma pesanteur d’être porteur de soucis, d’inquiétudes face à l’avenir.
« Chaque battement de notre cœur peut susciter une étoile ; chaque battement de cœur peut susciter une liberté encore endormie ; chaque battement de notre cœur peut rayonner sur toute l’histoire et sur toutes les galaxies… »
Exagération de l’auteur pourrait crier notre cerveau rationnel ! Je n’en ferais rien. En effet, devant la beauté de la création, notre cœur ralentit effectivement, le temps des horloges semble être arrêté. Finie la course folle à ce que « je dois faire après », à la planification de nos vies trop organisées, au temps chronométré de l’efficacité rentable…L’invitation est celle d’un état de réceptivité qu’un autre suisse, le docteur Vittoz, au début du XXème siècle, a su décrire ( bien avant la vague de la méditation) en opposition au cerveau émissif d’idées, de pensées, de projections.
Mais Maurice Zundel pose une condition entendable quelle que soit notre conviction religieuse ou philosophique : « …pourvu justement que nous entrions dans ce silence infini où l’on n’est plus qu’à l’écoute du silence éternel… »
Pour le croyant, ce silence renvois à l’échange avec son Dieu, pour d’autres, c’est le silence de l’intériorité. Le message nous convie à retrouver cette forme de silence intérieur où tout est possible, où les frontières sont abolies, où nos désirs les plus profonds peuvent émerger du brouillard couvrant de nos pensées parasites.
Et si nous étions davantage à prendre le temps, de temps en temps, de nous lever avant le soleil, pour le contempler et revenir à l’origine de notre mère Terre, peut être un autre rayonnement humain pourrait advenir sur terre.
Imaginons un conseil des ministres, une assemblée nationale, ou un conseil municipal qui se donnent le projet une fois dans l’année de se retrouver dans un lieu pour simplement accueillir le lever du soleil, sans plus, sans discours, sans commentaire, juste recevoir, contempler.

Notre humanité a besoin d’une guérison urgente pour sortir de la maladie chronique du « toujours plus », du bal médiatique des egos ou encore du conditionnement par les compagnons numériques qui envahissent nos vies de manière insidieuse. Et si prendre le temps par exemple 5 minutes par jour pour contempler un paysage, un ciel, voire une nature urbaine changeait notre manière d’être au monde et devenait un rituel de guérison ? Qui nous en empêche ?
S’émerveiller, recevoir la beauté de la création, terre, ciel, nature, arbres, fleurs, … et puis tout simplement remercier.