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Le blog de Michel BERNARD

De la vulnérabilité au « prendre soin de soi et des autres»

6 Février 2021 , Rédigé par Michel BERNARD

Pourquoi nous aura-t-il fallu une pandémie à l’échelle mondiale avec un virus mortel et incontrôlable à ses débuts pour secouer les êtres humains sur terre et les remettre en face de la nécessité du lien, du prendre soin de l’autre ? Notre société emmitouflée dans le « toujours plus » de la consommation de biens et de plaisirs addictifs nous a-t-elle rendu aveugle devant notre besoin premier d’être relié simplement à d’autres êtres humains pour déployer notre humanité car l’homme est avant tout un animal social ?

Dans cette quête d’un sens de l’humanité en mutation, j’ai puisé dans la lecture d’auteurs qui ne font pas nécessairement le buzz des plateaux de télé, quelques repères relatifs au lien et à la vulnérabilité.Ilios Kotsou, psychologue du courant de la psychologie positive, dans son ouvrage « éloge de la lucidité », témoigne du fondement  du lien : « La fragilité est aussi ce qui nous unit : sans elle, nous n’irions pas vers les autres. Elle participe à la création du lien, elle permet d’être touché par l’autre. … La douceur envers nous-mêmes et l’acceptation de notre fragilité nous poussent à entretenir une relation plus amicale avec nous-mêmes, ce qui nous ouvre à un rapport plus apaisé avec le monde. » Ainsi, c’est vraiment quand nous nous mettons à l’écoute de notre propre fragilité humaine, notre peur de la maladie, du virus, de la mort que nous pouvons entrer dans une relation plus authentique avec autrui. Le philosophe Bertrand Vergely pousse le curseur encore un cran plus loin : «  Le sens de la vulnérabilité est de nous débarrasser d’une force illusoire pour s’appuyer sur notre potentiel divin » . Il illustre cette conviction profonde avec la fable de La Fontaine du lièvre et de la tortue. Le lièvre, le surdoué aurait dû gagner la course mais c’est la tortue qui gagne. En fait, le lièvre croit tellement à sa supériorité qu’il s’en aveugle et part trop tard tandis que la tortue connait et accepte ses limites et en fait bon usage. Nouvelle moralité proposée par notre philosophe : savoir rentrer en soi pour utiliser les forces qui sont en soi.

Le point de départ de l’attention à l’autre, du prendre soin de l’autre  me semble être d’abord cette reconnaissance de notre propre vulnérabilité que nous cachons souvent socialement à l’intérieur d’une cuirasse du paraitre, d’un rôle social délimitant les postures acceptables. Imaginons un instant un manager, reconnaissant une grave erreur d’analyse stratégique et pleurant devant ses employés. Imaginons, devant les caméras, un décideur politique reconnaissant avec humilité un manque de discernement sur le choix d’investissement….

Cependant, quelques lumières s’allument depuis les applaudissements au balcon à 20 heures pendant le premier confinement en 2020 lié à la protection contre le coronavirus. Un exemple : le management avec l’éthique du care. De quoi s’agit -il ?

Dans une conférence (1) donnée à l’école de management de Grenoble, après le premier confinement, Benoît Meyronin, professeur dans cet établissement et directeur général chez Care experience et qui est engagé depuis plusieurs années dans une recherche action sur un management avec l’éthique du care précise les 4 besoins fondamentaux à prendre en compte dans le milieu professionnel  : le besoin de confiance ( faire confiance, c’est accepter de se placer dans une position de vulnérabilité »), le besoin d’être écouté, d’un espace d’écoute réelle, voire d’accompagnement, le besoin d’être acteur, le pouvoir d’agir avec une marge de manœuvre, et le besoin de reconnaissance incarné par le fait de recevoir des feed back de la hiérarchie notamment. Cette pratique s’incarne dans la reconnaissance de l’interdépendance entre les personnes. Nous sommes tous potentiellement receveurs et donneurs de soin, d’attention et d’écoute d’autrui. C’est le principe de réciprocité. Benoît Meyronin, dans cette vision, a ainsi proposé le principe de « symétrie des attentions » (2) dans la pratique d’une entreprise. Ce n’est pas une vision idéaliste hors sol car des managers l’appliquent sur le terrain. Ainsi, Christel Pujol, directrice à la SNCF du réseau TGV Ouest ( 1400 agents), témoigne  dans la même conférence comment, après la phase de sidération consternation du début de confinement, elle a mis en place une stratégie de proximité avec ses managers et ses agents avec des rituels collectifs de briefing hebdomadaires devenus quotidiens. Ainsi, s’est créé une boucle qualité efficace pour rassurer les agents, fixer un cap avec les managers, et renforcer le collectif.

Même si l’appellation management par le care n’est pas très marketing, très fun, la fragilité sociale collective amplifiée par la crise sanitaire, économique sans oublier la crise écologique en fond de tableau, nous ramène à cette réalité première : apprendre à nous protéger ensemble les uns avec les autres, réapprendre une solidarité humaine dans la réciprocité et redonner tout son sens à la qualité du lien humain.

Notre société en transition a davantage besoin aujourd’hui

de tortues lucides et courageuses

que de lièvres surdoués et inconscients.

(1) lien vers la conférence : éthique du care et management ; 14 mai 2020.

(2) La Symétrie des Attentions pose comme principe fondamental que la qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est symétrique de la qualité de relation de cette entreprise avec l’ensemble de ses collaborateurs. C’est un concept exigeant pour un manager car c’est de sa posture que se modélise l’organisation  de la qualité attentionnelle au sein de l’entreprise. Que dire d’un manager qui reçoit ses collaborateurs sans décoller son nez de l’ordinateur et estime qu’il est d’abord centré sur la qualité du service au client !

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