Juste une minute d'ancrage
La scène se situe de manière insolite au sein du film d’Emmanuel Carrère « OUISTREHAM » sorti en 2022 et qui évoque l’infiltration de la journaliste Florence Aubenas dans la vie quotidienne de l’équipe de nettoyage des ferrys reliant une petite ville de Normandie à l’Angleterre. Film avec des actrices non professionnelles qui jouent leur propre rôle d’agents d’entretien au rythme infernal de 4 minutes par chambre…pour débarquer le matin avant l’arrivée des premiers passagers. Des « femmes invisibles » à la tâche ingrate et mettant leur santé à dure épreuve… sans perspective de réelle évolution. Or la scène que je veux évoquer, est un des rares moments festifs du film entre ces femmes et leur coordinatrice. Celle-ci joue la statue figée alors que toutes ses collègues essaient de la déstabiliser pour la faire rire sans la toucher…et n’y arrivent pas ! Elle reste droite, imperturbable et en silence !
Ma lecture est celle de constater la capacité de cette femme à s’ancrer tellement qu’elle échappe aux tentatives de déstabilisation. Certes, nous sommes dans le jeu et au cinéma.
Dans un petit monde agité en ce moment par la montée progressive de la campagne présidentielle avec un cirque « médiatico- politique » où sont disséquées les petites phrases des uns et des autres, il y aurait matière à retrouver le sens de la mesure, de la décence, bref de l’intérêt collectif.
Quand j’observe autant d’agitation, de bla bla, d’interprétation, du bla bla tellement décalé de la vie quotidienne de millions de gens, je reste convaincu qu’il manque ce temps de distanciation, ce temps de suspension de la parole quelques secondes, de silence entre deux prises de parole qui pourraient davantage relier plutôt qu’opposer de manière stérile.
Aussi, je plaide pour qu’un réflexe simple puisse s’expérimenter un peu partout pour redonner du poids à la pensée réfléchie, mûrie, et qui nourrit.
Ce réflexe, je le nomme « la minute d’ancrage ». De quoi s’agit-il ?
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Régulièrement, dans sa journée, chacun peut en faire usage. Il nécessite aucune appareil, aucun compagnon numérique. Il ne fait appel qu’à un désir de couper de temps en temps le moteur du mental, des pensées, de la réactivité pour s’arrêter. Ainsi, c’est stopper son activité, rester debout comme notre statue d’Ouistreham ou assis. Prendre le temps de porter son attention sur ses pieds pour sentir le lien à la terre, cet ancrage un peu comme si nous avions deux racines qui descendent dans l’humus. Puis, revenir à sa respiration, revenir à soi tranquillement. Et ensuite, se poser simplement une petite question intuitive qui pourrait être, en fonction de votre contexte et environnement :
- Comment je me sens maintenant ? Qu’est ce qui m’habite ? émotion plutôt positive, plutôt difficile ? quel mot pour la nommer ?
- Quelle petite action pourrait me faire du bien maintenant ?
- Qu’est ce qui me semblerait opportun de faire ici et maintenant ?
Rien d’extra ordinaire dans ce temps court qui peut durer une minute ou quelques minutes. Et pourtant, quelque chose d’important vient d’être cultivé. Notre capacité à sortir du flux des pensées, de l’agitation, du non repos qui fatigue à la longue et cette ouverture à ressaisir l’instant présent si fugace.
En tant que coach, j’ai souvent vérifié l’opportunité de proposer cette « minute d’ancrage » à mon client en fin de coaching avant de prendre rendez-vous pour la prochaine séance. C’est presque devenu un rituel attendu avec ma petite question : « Qu’est-ce que vous retenez pour vous de cette séance ? ». Et, après un temps de silence qui offre ce temps de distanciation, de relecture de séance, la réponse s’exprime sur un essentiel qui peut aussi me surprendre.
Osons un rêve collectif avec une société qui a choisi d’expérimenter librement ce rituel. Des assemblées d’élus qui commenceraient par cette minute d’ancrage dans un beau silence collectif ; des réunions professionnelles dans lesquelles chacun se pose d’abord en silence, ancré avec lui-même, et deux personnes en tension qui décident de stopper la montée d’adrénaline, d’agressivité pour revenir à un ancrage avec elles-mêmes ! La nature avec ses forêts nous invite naturellement à l’ancrage comme le pratiquent les sylvothérapeutes. Invitation à coller son dos doucement contre un arbre, se déchausser pour être vraiment en contact sensoriel avec la terre, et se laisser toucher par l’arbre, sa présence, sa verticalité et son ancrage physique dans le sol avec ses racines et dans le temps qui dépasse le nôtre.
Juste une minute d’ancrage, juste un temps pour revenir à soi,
se relier aux énergies de la terre, à son souffle
et exister pleinement sans mots, en vérité.
ESPERANCE ET RESILIENCE, deux poumons de VIE pour 2022
« J’ai ancré l’espérance aux racines de la vie » exprime la poétesse Andrée Chedid au début d’un poème exhortatif. « Espérer, c’est croire qu’on peut malgré tout » me rappelait un vieil ami Jésuite, « Pour rencontrer l'espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu'au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore. » affirme l’écrivain Georges Bernanos. L’espérance n’est pas une eau tiède, c’est une arme de combat.
Oui, en cette nouvelle année, j’ose l’invitation à cette Espérance avec un grand E qui nous invite à sortir de la grisaille d’un climat sanitaire de grande vigilance, de limitation des contacts humains et de lassitude face aux vagues Covid qui se suivent sans annoncer leur fin. Cette forme d’espérance n’est pas à confondre avec le simple optimisme qui croit en ses propres forces pour se sortir d’affaire, se sortir d’une difficulté ou encore d’une épreuve. Elle n’est pas non plus naïveté qui pourrait nous conduire à imaginer que notre petite planète Terre s’en sortira « quoi qu’il en coûte » par le simple effet des progrès technologiques et de l’intelligence des gouvernants et décideurs politiques et économiques face à une crise écologique mondiale non maitrisée.
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Cette Espérance s’accroche à une étoile dans notre ciel. Encore est-il important de sortir de soi et de regarder le ciel pour observer l’étoile. Historiquement, dans le récit biblique, trois mages se sont laissés guidés par cette étoile pour découvrir Jésus dans la crèche, un nouveau-né porteur d’une promesse pour l’humanité. Quelles que soient nos croyances, cette Espérance me semble reposer sur la conviction profonde qu’une étoile, une lumière nous guide sur notre chemin de vie. Comment la garder en vue ? Peut être en acceptant de poser de temps en temps nos smartphones, nos connexions aux compagnons numériques et laisser du vide dans notre espace mental. Accueillir ce rien, cette intuition, cette petite lumière qui guide nos pas vers la lumière de l’aube, avec ses premières lueurs voilées qui annoncent un nouveau jour.
Un deuxième poumon pourrait aussi nous redonner du souffle pour 2022, il se nomme Résilience. Au sens physique du terme, la résilience est la capacité de résistance d’un corps ou d’un matériau à un choc ou à une déformation. Boris Cyrulnik, psychiatre, lui-même résilient, ayant perdu toute sa famille déportée dans les camps de concentration et ayant échappé de peu à la mort durant l’occupation, nous décrit la résilience comme la reprise d’un nouveau développement après un traumatisme. Les résilients refusent leur rôle de victime passive et ont transformé leur souffrance en une volonté de vivre. Il s’agit aussi d’un processus lent qui passe par un mécanisme de défense comme le déni (je refuse de voir cette réalité qui me fait trop souffrir) et peut aussi se réaliser grâce à des personnes ressources appelées tuteurs de résilience. Boris Cyrulnik explique que l’infirmière qui l’a caché pour échapper à une rafle puis sa famille d’accueil jusqu’à la libération et sa tante qui l’a élevé jusqu’à l’âge adulte ont joué ce rôle nécessaire pour qu’il redonne un sens à sa vie.
Que vient donc faire cette résilience pour nous en 2022 ? Pour ma part, c’est oser considérer, comme l’exprime avec beaucoup de poésie notre sociologue centenaire Edgar Morin, que nous sommes dans un monde d’incertitudes avec quelques archipels de certitude. Et 2022 est très riche en la matière : incertitude de l’évolution de la crise sanitaire mondiale, incertitude sur la nouvelle gouvernance de la France à partir des élections présidentielles ; incertitude sur l’évolution du dérèglement climatique, du nombre de réfugiés politiques et climatiques affluant sur l’Europe occidentale, incertitude sur les effets de la montée en « charge économique » de la Chine sur le reste du monde, etc…Et toutes nos situations personnelles, familiales, professionnelles baignées dans des zones plus ou moins troubles ou claires ! Aussi, trouver, bonifier des ressources à la hauteur du cumul de ces vagues stressantes, impactantes pour notre moral et notre psychisme devient une démarche incontournable.
3 questions pour préciser quelles sont les ressources auxquelles vous faites appel dans une période difficile, une épreuve :
1 Qu’avez-vous fait pour pouvoir résister au quotidien ?
2 Comment avez-vous fait pour tenir aussi longtemps ?
3 Et si demain, vous êtes confronté (e) à nouveau à une période difficile, une épreuve, quelles ressources internes ( volonté, persévérance, stratégie de rebond, méditation, visualisation mentale, etc…) et externes ( personnes alliées) vous auriez le désir de mobiliser ?
J’aime à conclure cet article du 1er janvier 2022 par une histoire vraie qui illustre la puissance du couple Espérance-Résilience. En janvier 2021, Antonio Sena qui survole la forêt amazonienne, connait une panne de moteur et réussit un atterrissage d’urgence déjà miraculeux en plein cœur de cette forêt immense. Il a juste le temps de prendre un minimum d’affaires utiles (pain, couteau, lampe de poche, briquet et smartphone) avant que l’avion ne brûle. Il attend 8 jours en vain à côté de l’avion les secours. Puis, il décide de marcher pour survivre. Il va ainsi parcourir 28 kilomètres sous une pluie torrentielle échappant à la menace quotidienne des prédateurs que sont les jaguars et les anacondas. Enfin au bout de 36 jours, il est recueilli par des cueilleurs de noix et il est sauvé.
Que retenir de cette histoire dans un contexte de danger quotidien et d’incertitude totale de survie ?
En matière d’Espérance, Antonio enregistre un message pour sa famille le 5è jour où il dit clairement avec un plein d’émotions : « Je vais essayer de rester en vie…Maman, je t’aime, beaucoup, beaucoup, beaucoup… ». Il se redonne à lui-même une direction : je veux vivre et aussi pour l’amour des siens dont sa Maman. Certes, nous pourrions objecter que c’est d’abord un instinct de survie qui le fait réagir. Il expliquera qu’il a pu survivre en matière alimentaire en regardant ce que mangeaient les singes autour de lui, alliés de fait. J’estime qu’Antonio a su mobiliser toutes ses ressources pour survivre : volonté de marcher malgré la souffrance, l’extrême fatigue, la peur quotidienne et l’observation du milieu pour son besoin de sécurité et apprendre pour son besoin alimentaire. Voilà une belle preuve de résilience face à une épreuve inattendue qu’il n’avait pas imaginée !
Ainsi, avec le brésilien Antonio, constatons que nous disposons de ressources internes souvent plus fortes et durables que nous osons le croire. Certes, je ne souhaite à personne la traversée de l’Amazonie à pied mais je souhaite à chacun de vous la possibilité de faire appel à ses belles ressources résilientes qui redonnent une vision de Vie, d’Entraide mutuelle avec tous les autres êtres vivants humains et non humains !