la poésie, arme de résistance universelle
« Vous le voyez le monde. Vous le voyez comme moi. Ce n’est qu’un champ de bataille. Des cavaliers noirs partout. Un bruit d’épées au fond des âmes. Eh bien, ça n’a aucune importance. Je suis passé devant un étang. Il était couvert de lentilles d’eau - ça, oui c’était important.
Nous massacrons toute la douceur de la vie
et elle revient encore plus abondante. » (1)
J’ouvre ce court florilège de poésies par un ami trop tôt disparu, Christian BOBIN, poète ancré dans le temps présent, l’observation de la nature depuis son refuge dans un coin perdu de Saône et Loire. La poésie, arme de résistance car elle nous invite en ce dernier jour de l’année 2023 à sortir de l’information continue sur nos médias et réseaux sociaux, à s’arrêter, et à regarder ce qui est donné ici, aujourd’hui dans son champ de vision terrestre. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans le déni d’un monde, d’une planète Terre avec ses tâches noircies de violence et de souffrance mais bien de rééquilibrer notre âme avec des nourritures saines et revigorantes…en s’ouvrant à la beauté par l’écoute, la dégustation intérieure de morceaux de poésie juteux.
« Quand je suis parmi vous, arbres de la forêt,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime. »(2)
Victor Hugo, notre grand poète romancier et homme politique engagé du XIXème siècle, nous montre un chemin de dialogue direct avec les arbres…plus d’un siècle avant l’émergence des bains de forêt ou shirin yoku originaires du Japon. Dialoguer avec les arbres, êtres vivants non humains dans une forêt en déclamant ce poème « Aux arbres » nous relie à la toile du vivant, à ceux qui sont là avant nous (un olivier dans un village en Israël, près de Bethléem aurait plus de 4000 ans !) et nous survivront. La poésie est arme de résistance car elle nous montre clairement ce qui dure, ce qui persiste au-delà des aléas du temps.
J’ai ancré l’espérance aux racines de la vie.
Face aux ténèbres j’ai dressé des clartés
Planté des flambeaux à la lisière des nuits.(3)
Andrée Chedid, poétesse de la fin du XXème siècle, née au Caire, nous secoue pour que nous gardions au cœur cette espérance qui nous ouvre une lumière dans la nuit. La poésie est arme de résistance face au découragement, au pessimiste ou encore à l’aquabonisme ( « A quoi bon, tout est foutu en ce monde !»). La condition : revenir aux racines de la vie, au sens profond donné à chacune de nos vies pour trouver sa direction, son cap.
Pour boucler simplement ce court florilège, me viens ce livre de Pascale Senk (4) , journaliste qui s’est découvert une passion pour les haikus, et qui offre un haiku, petit poème d’origine japonaise pour chaque jour de l’année. Et voici le haiku proposé le 31 décembre :
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Une année s’achève
Un chapeau sur la tête aux pieds
Des sandales de paille
Cet haiku est traduit de Bashô (5) considéré au Japon comme le premier inspirateur poète voyageur des haikus ancrés dans le réel de l’observation de la vie et interpellant le lecteur en fonction de sa sensibilité.
Extrait du commentaire de Pascale Senk :
« Avancer léger.
Tout, dans la nature comme dans nos corps,
nous montre que l’attitude juste implique de se délester. »
La poésie, du haiku japonais aux poésies rimées de France, est arme de résistance universelle. Elle ouvre à tous un chemin pour se délester du « trop plein », de charge mentale et émotionnelle, de soucis pour retrouver notre pas léger se posant délicatement sur la Terre, notre mère racine.
- Extrait de l’homme joie de Christian Bobin
- Extrait de « Aux arbres » de Victor Hugo
- Extrait de l’espérance d’Andrée Chedid
- « Mon année Haiku » de Pascale Senk
- Bashô (1644-1694)
Face aux trois IN ( INertie, INcohérence et IMpuissance), un réflexe d’Espérance lucide
Dans le contexte de la COP 28 (1) à Dubaï, nourri de beaucoup de scepticisme sur la capacité des Etats membres à prendre des engagements et surtout à les tenir pour sauvegarder la viabilité de la planète pour les générations futures d’une part et d’autre part une contre COP à Bordeaux initiée par Scientifiques en rébellion (2), une tendance sourde dans la société civile semble se dessiner. « Ah quoi bon ces COP pour lesquelles les engagements pris ne sont pas respectés car non contraignants, à l’exemple de la COP 21 à Paris en 2015 à l’issue de laquelle les Etats s’étaient engagés à réduire leurs émissions des gaz à effet de serre pour maintenir le réchauffement climatique sous le plafond des 2 degré maximum à l’horizon 2100. Or le GIEC (3) semble situer aujourd’hui un scénario moyen autour de 4 degrés en 2100 !
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Ce scepticisme montant, cette désespérance face à l’enlisement des décideurs politiques et économiques incapables de réduire drastiquement de manière collective leurs émissions de gaz à effet de serre et de préparer un autre mode de vie compatible avec les ressources de la Terre pour les futures générations, je le résume de manière simplifiée en trois IN :
In…comme inertie. Sans aller loin, rappelons que l’Etat français a été condamné par le tribunal administratif de Paris (puis par le conseil d’Etat) en octobre 2021 pour inaction climatique. Autrement dit pour le non-respect des objectifs relatifs à la stratégie nationale bas carbone. Concrètement un dépassement de 62 millions de tonnes d’équivalent de CO2 entre 2015 et 2018. Plus globalement, sans être un observateur avisé, l’écart entre les messages médiatiques engagés vertueux des gouvernements dont la France ne sont pas suivis d’effet sur le terrain. Le modèle de consommation, de croissance « infinie » n’est pas remis en cause alors que les shifters (4) et d’autres groupes et ONG démontrent la nécessité de revoir de manière radicale notre modèle économique pour avancer vers une sobriété adaptée à la réalité de nos ressources naturelles limitées par nature.
In…comme incohérence. C’est la mise en place médiatisée en septembre 2023 d’une planification de la transition écologique annoncée par la 1ère ministre …que chacun pourra au moins saluer comme la première véritable planification de mesures à l’horizon 2050 pour une France décarbonée. Et c’est dans le même temps, la confirmation par l’Etat de l’autorisation de la construction de l’autoraute A69 entre Toulouse et Castres. Or de nombreuses ONG, associations locales ont dénoncé très vite le « saccage » de zones de biodiversité qui vont être artificialisées avec des arbres abattus en nombre.., de pollution plus forte sur un territoire rural… pour une réduction dérisoire du temps de déplacement d’environ 20 minutes ! La multinationale des laboratoires Fabre implantée à Castres n’est pas étrangère à cette décision contestée actuellement devant les tribunaux par plusieurs associations locales. A noter que 61% des locaux, suite à un sondage IFOP, ont indiqué leur opposition à ce projet d’un autre temps…
IM…comme impuissance. Malgré l’alerte répétitive, à l’occasion de la publication de ses rapports annuels, des experts du GIEC de tous les continents, les pressions des ONG comme Greenpeace ou Oxfam ( parties civiles pour la condamnation de l’Etat pour inaction climatique en 2021), le nombre de plus de plus de citoyens jeunes et séniors engagés pour changer le « mode de logiciel » de notre société productiviste, croissanciste, consumériste et …ce sentiment diffus que le « paquebot du drame écologique » risque de devenir demain le Titanic avec des millions de morts en perspective…Un sentiment d’impuissance face aux décideurs politiques conditionnés, faibles sous l’emprise des lobbies économiques locaux, nationaux et mondiaux.
Comment sortir de cette vision qui peut nous entrainer comme la grenouille trempée progressivement dans un bain de plus en plus chaud et qui se laisser mourir ? Une piste parmi d’autres, et si nous reprenions la main avec un réflexe en trois mouvements :
1er mouvement : accueillir, oui accueillir cette réalité avec toute son absurdité, inertie, incohérence, sentiment d’impuissance qui peut conduire aussi à l’écoanxiété, à une tristesse profonde ou encore à une colère montante envers les « coupables ». Accueillir, c’est renoncer à juger, à condamner. Ce qui nous enfermerait encore plus dans un jeu stérile de juge, au nom de qui ? Accueillir n’est pas cautionner cette réalité malade, avec des préjudices pour des Etats très touchés et les plus pauvres. Accueillir, c’est ouvrir les yeux grands de manière lucide et rester observateur curieux pour chercher à comprendre avant tout. Car cette réalité est multiforme, complexe et peut révéler le meilleur à côté du pire.
2ème mouvement : composter nos émotions difficiles, comme le suggère l’écothéologien suisse inspiré, Michel Maxime Egger, auteur en 2023 de "Reliance, manuel de transition intérieure" . Composter, autrement dit , chercher à transformer notre « mal-aise », nos sentiments difficiles comme la tristesse, la colère, l’indignation en énergie positive. Comment ? Prenons la colère, la colère contre ces décideurs qui font la com, le greenwashing, sans se mettre à l’ouvrage, et restent responsables de cette inertie. Après ce cri du cœur, ce cri seul avec soi de tout ce qu’on aurait envie de leur dire face à face, cet exutoire, respirer, souffler et se poser la seule question : « Comment je pourrais utiliser cette énergie de colère pour faire un petit pas vers un mieux pour moi et pour les autres ? » Petit pas d’un écogeste, de rejoindre une association locale, de partager une réflexion ouverte avec d’autres, de participer à une fresque du climat…etc…
3ème mouvement : se relier au vivant à l’intérieur de soi et autour de soi. Ce mouvement est essentiel pour sortir du risque du cercle d’enfermement dans la critique, l’impuissance, ou encore « l’aquabonisme ». Nous avons la chance, encore la chance de vivre sur la planète Terre qui témoigne tous les jours, tous les matins avec le lever du soleil, et tous les soirs avec son coucher de sa beauté naturelle. Beauté des fleurs comme a su nous le redire notre académicien d’origine chinoise, François Cheng . Beauté des paysages, des arbres déjà chantés par Victor Hugo dans son poème de dialogue « Aux arbres », beauté dans la simplicité de lentilles d’eau comme le murmure notre poète de la nature, Christian Bobin dans l’Homme Joie. Se relier à ce vivant, c’est aussi passer du temps avec ce vivant comme je le pratique en guide de bain de forêt. Rester en contact avec un arbre sans mot, juste respirer son écorce, observer, écouter les oiseaux alentour, être là sans plus. Et le miracle peut s’opérer : si je recontacte ce vivant comme le sont les arbres, êtres vivants, je peux aussi désensabler mon être conditionné dans le monde minéral et numérique pour retrouver « le vivant » au fond de mon âme.
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Ces trois mouvements, comme des mouvements de musique, restent une simple invitation à expérimenter à votre manière, dans des moments de recul, de distanciation, pour se retrouver. Quel enjeu pour demain ?
Retrouver ensemble une nouvelle voie, comme nous y invite le sociologue centenaire Edgar Morin. Une nouvelle voie qui sort des sentiers battus de la surconsommation pour ouvrir à une réconciliation profonde de l’homme avec son environnement et les autres êtres vivants non humains. L’homme Nature. L’homo naturus.
- C’est la 28ème Conférence des Parties initiée depuis 1995 à l’initiative de l’ONU dans la suite du sommet de la Terre à Rio au Brésil en 1995. Elle réunit chaque année les Etats signataires d’une convention cadre et des acteurs de la société civile, ONG, collectivités territoriales, et entreprises…
- Organisation internationale de scientifiques engagés dans une sensibilisation aux conséquences du réchauffement climatique et qui font le choix d’une désobéissance civile non violente.
- Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du climat crée en 1988 sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies. Il regroupe 195 Etats.
- Site The Shifters, www.theshifters.org, association influenceuse de près de 20 000 membres qui œuvre pour la décarbonation de l’économie française et qui a notamment édité le PTEF = le Plan de Transformation de l’Economie Francaise, disponible en librairie.