La sobriété choisie, un chemin pour transpercer la bulle de l'hyperconsommation
Depuis plus d’un mois, je fais partie de la « famille » des animateurs de l’atelier « Inventons nos vies, bas carbone » (1). J’ai accepté avec motivation de me former pour animer cet atelier de 3h 30 au sein de la fonction publique. Il a été retenu à partir d’un marché public interministériel avec l’atelier « les trois crises » pour sensibiliser les 2,5 millions de fonctionnaires de l’Etat aux enjeux de la transition écologique…d’ici décembre 2027. Démarche formative méritoire pour contribuer au plus grand défi de l’histoire de l’humanité, comme le rappelle l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau.
Cet atelier conçu de manière pédagogique en low tech (sans support numérique) offre une visibilité sur l’objectif 2050 européen et français : atteindre la neutralité carbone pour rester dans la « course » de l’accord de Paris d’une augmentation limitée à moins de 2 degrés d’ici 2100 par rapport à l’ère préindustrielle ( augmentation actuelle d’environ 1,2 degré). Aujourd’hui le défi reste à relever avec des projections du GIEC allant de 2 degrés à plus 4 degrés à l’horizon 2100.
Quelle visibilité ? L’empreinte carbone moyenne d’un français est évaluée aujourd’hui autour de 10 tonnes équivalent CO2 et l’objectif 2050 est de réduire cette empreinte à moins de 2 tonnes par habitant. Que représente concrètement cette surconsommation des 10 tonnes par habitant ? En fait, elle se décompose globalement en 5 secteurs d’émission de gaz à effet de serre :
L’alimentation : 2,5 tonnes ; le transport : 2,5 tonnes ; les diverses consommations de biens ( loisirs, culture, numérique…) : 2 tonnes ; le logement : 2 tonnes…et le service public est considéré avec une valeur moyenne de 1 tonne par habitant. Première conclusion : nous devons agir sur ces 5 secteurs pour réussir le défi de la diminution à 2 tonnes par habitant. Deuxième conclusion qui est apportée par des cartes « consommation » : il y a des habitudes de consommation qui ne sont pas compatibles avec cet objectif. Deux exemples : mangez de la viande une fois par jour est équivalent à 2,2 tonnes équivalent CO2 ; un aller-retour Paris-New York (11 700 km) émet 1 tonne de CO2 et 0,8 tonnes liée au forçage radiatif additionnel ( particules azotées, traînées de condensation…) sur la base d’un avion de plus de 220 passagers, soit un total d’environ 1,8 tonnes par passager. Chacun mesure alors plus clairement « la révolution » que suppose la mise en œuvre de ces leviers de réduction de notre empreinte carbone.
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Or, notre monde occidental reste globalement « pollué » par l’hyperconsommation. Rappelons des données couramment diffusées : si tous les terriens consommaient autant que les français, il nous faudrait presque 3 planètes, comme les américains, 5 planètes et l’Inde seulement 0,7 planète. Et la moyenne mondiale reste excédentaire : 1,7 planète !
Plusieurs facteurs vont à l’encontre de l’objectif mondial, européen et français de réduction de notre empreinte carbone pour une terre habitable et désirable pour les futures générations. Le système économique mondial reste à dominante extractiviste ( 80 % de la consommation mondiale d’énergie vient des énergies fossiles, pétrole, gaz et charbon), productiviste ( toujours produire plus pour gagner plus…) et consumériste ( le big bazar des grandes surfaces alimentaires). Bien que des directives européennes et des lois françaises ont commencé à encadrer le « pillage » des ressources naturelles et réduire le gaspillage, je constate des « laisser faire contraires à l’objectif neutralité carbone », euphémisme pour éviter de parler d'une forme de déni ou d'hypocrisie de décideurs politiques et économiques. Quelques exemples parmi d’autres :
- L’énorme gaspillage agro-alimentaire de denrées consommables non périmées et embarquées dans des camions vers des méga usines de méthanisation industrielle pour destruction…comme des cookies qui n’avaient comme défaut de ne pas avoir une forme ronde !!! (2) . Les banques alimentaires, les resto du Cœur auraient apprécié de recevoir ces denrées…tenant compte de plus de 9 millions de français vivant en dessous du seuil de pauvreté.
- La publicité lumineuse au cœur de toutes les villes avec de plus en plus de panneaux avec animation vidéo malgré la loi « climat et résilience » qui vise à limiter cette publicité. Ainsi un décret précise seulement l’interdiction systématique de publicité sur mobilier urbain dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants n’appartenant pas à une unité urbaine de plus de 100 000 habitants. Comme si les ruraux pouvaient se passer de pub mais pas les citadins !
- Les événements sportifs et culturels qui surconsomment et détruisent la biodiversité. Un exemple parmi d’autres : je terminais une randonnée avec mon fils après l’ascension du Mont Aigoual quand j’ai entendu des moteurs ronflés brisant le calme de la montagne…et en quelques mètres, je me suis retrouvé au bord d’une route avec des bolides « pollueurs » du rallye des cévennes…au sein du parc naturel des Cévennes !
Au delà de cette tension "bipolaire", une démarche volontariste de l’Etat français, de l’Europe pour « encadrer » un système extractiviste productiviste et consumériste (sans vouloir le changer) et les lobbies puissants cherchant « à gagner du temps » pour faire toujours plus de profit, il advient que de plus en plus de citoyens, jeunes et moins jeunes, font le choix conscient et volontaire d’une sobriété individuelle.
C’est, de mon point de vue, la bonne nouvelle ! Soutenu souvent par des associations tournées vers le respect de la Terre, vers le 0 déchets, la biodiversité ou encore vers des alternatives d’autres énergies décarbonées, des citoyens qui se disent éco citoyens réduisent leur consommation de viandes, leur déplacements, renoncent à prendre l’avion, et pratiquent les 5 R comme Refuser ce dont on n’a pas besoin ( ex : la pub dans la boite aux lettres), Réduire ses consommations en tout genre , Réutiliser des objets ( ex réparation de vieux meubles transformés en meuble de rangement) ou encore Recycler comme le papier et le carton, et Rendre à la Terre (avec un compost des déchets alimentaires). Ils ont aussi saisi que le bonheur est moins dans l’avoir que dans la vie des choses simples comme la marche, le lien avec la nature, ou encore l’échange de services entre voisins…
L’encyclique « Laudato Si » du Pape François publiée en 2015 en amont de la COP de Paris propose une vision éclairée de cette sobriété non contrainte par des lois : « La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice…Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie. » (223). Oui, le focus est bien orienté sur le discernement de nos besoins entre ceux qui nourrissent vraiment la personne dans son être et ceux qui abrutissent et rendent accros et addictifs. Dans cette recherche de lucidité et de recul, j’aime bien me poser les trois questions suivantes avant de décider un achat :
- Est-ce que j’en ai besoin ?
- Est-ce que j’en ai besoin vraiment ?
- Est-ce que j’en ai besoin maintenant ?
(1) site https://www.nosviesbascarbone.org
(2) Emission en octobre 2024 sur France 5 « Sur le front » animée par le journaliste écologiste Hugo CLEMENT