Vous avez bien dit " appreciative inquiry" ?
Nom étrange et pourtant porteur d'un vrai sens en matière d'accompagnement des organisations. Cette importation en France est dûe au pionnier, Jean Pagès, 56 ans, ancien élève de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, diplômé en psychologie et en linguistique et auteur du seul livre traduit en français (1) concernant cette démarche innovante en matière d'aide au changement et née dans les années 80 aux Etats Unis. Depuis, cette nouvelle approche gagne du terrain en France auprès des entreprises, des établissements publics et même auprès des administrations.
En quoi l'approche "appreciative inquiry" dite AI se démarque t'elle des autres approches en matière de coaching et de conduite de projet auprès des entreprises et des organisations ?
Il y a d'abord une proximité avec les approches de coaching considérant que l'on part des ressources des personnes et également avec les approches de conduite de projet pour lesquelles on est focalisé sur ce que l'on veut atteindre de l'avenir.
La différence vient du fait que l'AI se focalise d'emblée sur les ressources et la recherche concrète de ce qui, à travers les expériences vécues, témoigne que les personnes ont été auteurs de réussite. Elle permet ainsi d'identifier ce sur quoi reposent ces réussites. Ainsi, il y a une focalisation sur un "noyau de réussite" pour se projeter sur une vision de l'avenir. En fait, cette démarche recoupe largement le champ de la psychologie positive dont le concept de flow ( 2) mis en lumière par le chercheur Mihaly Cziksentmihalvi. Globalement, c'est s'appuyer sur ce qui donne de la vie, de l'énergie positive à une personne et à un groupe humain. La deuxième différence avec les approches traditionnelles, c'est la construction à partir de la prise en considération de ce noyau de réussite, d'une vision attractive et engageante de l'avenir de l'organisation.
Quand vous évoquez une "vision de l'avenir", reste on vraiment réaliste ?
Oui, la démarche AI est totalement dans le réalisme car elle repose sur deux piliers.
Le premier, c'est que l'on part du contexte de l'entreprise pour dégager des orientations à partir du possible avec notamment la prise en compte du marché et de l'environnement socio-économique. Cependant, il s'agit d'une démarche constructiviste qui ne s'arrête pas sur la réalité du moment. Le deuxième pilier, c'est partir des succès réels de l'entreprise partant du postulat que si l'on a su réaliser des choses dans le passé et qu'on en réalise dans le présent, on a plus de chance de pouvoir les reproduire et les renouveler en capitalisant sur le savoir, le savoir faire et les savoir faire relationnels sociaux.
Qu'est ce qui aujourd'hui rend cette démarche particulièrement attractive pour des entreprises de secteurs très divers qui font appel à vous ?
Cette attractivité s'observe dès le premier contact. Il est souvent plus agréable de partir de ce qui marche bien dans l'entreprise plutôt que des défauts ou des dysfonctionnements. Pour autant, les contraintes en terme de marché, d'organisation, de moyens sont pris en compte dans l'orientation " travaillée" par la direction, ceci rassure les décideurs qui acceptent une démarche participative dans la mesure où un cadre clair est posé et où tous les acteurs peuvent apporter une contribution effective.
Y a t'-il des conditions préalables pour les organisations intéressées par la démarche ?
Les conditions préalables que j'identifie sont essentiellement : un engagement réel du responsable, l'accord de principe pour engager une démarche participative impliquant tous les acteurs et une réelle volonté pour construire un projet tourné vers le futur. Aussi, l'appreciative inquiry peut s'appliquer à des projets très variés qui admettent le facteur temps. Cependant, quand il s'agit d'une restructuration, l'AI ne peut se faire sur du contraint sans marge de manoeuvre. Elle peut par contre s'avérer utile, dans un deuxième temps, pour contribuer à un accompagnement des personnes, à l'élaboration par exemple d'une nouvelle culture liée à la fusion d'entreprises ou de services publics comme dans le contexte de la révision générale des politiques publiques ( rgpp).
Et vous, quel itinéraire vous a conduit à aller vers cette démarche alors que vous étiez déjà un coach et formateur expérimenté et reconnu ?
J'ai d'abord été consultant coach dans l'accompagnement de projets d'entreprise notamment en mode diagnostic. Cà marchait bien, cependant j'étais à la recherche d'une approche contribuant davantage à créer une dynamique collective positive au sein des organisations. Dans cette perspective, j'ai pris connaissance des travaux de David Copperider, le concepteur de l'AI et j'ai testé la démarche auprès de mes clients. Les premiers tests ont été très probants au point où, aujourd'hui, je propose essentiellement cette approche dans mon activité. Et depuis deux ans, avec la création de l'institut français de l'appreciative inquiry ( IFAI) (3) avec mon associé Jean Christophe Barralis, nous avons engagé une formation de coachs pour leur permettre de proposer le processus de l'AI à leurs clients. Une cinquantaine de coachs ont déjà été formés en France.
L'expression "appreciative inquiry" arrache un peu la langue de chez nous. Le concept non traduit en français ne risque t'il pas de freiner sa diffusion ?
C'est vrai que le terme peut apparaître peu explicite de prime abord. Il peut être traduit cependant par exploration appréciative ou encore démarche exploratoire et appréciative. L'expression anglaise facilite l'échange au sein du réseau international. Ceci étant dit, quand je communique avec des clients, je n'utilise pas nécessairement ce terme. J'explicite davantage les caractéristiques de la démarche dans sa dimension constructiviste, participative et partant des expériences de réussite du présent.
Y a-t-il des prérequis souhaitables pour un coach qui souhaiterait se former à l'appreciative inquiry ou démarche exploratoire et appréciative ?
Je crois que la réponse se résume en un vrai désir d'accompagner les personnes et les organisations dans le changement. L'AI n'est pas tant une boite à outils qu'un état d'esprit conforté par une procédure à la fois précise et souple pour s'adapter à la culture des organisations concernées.
Avec son doux regard, Jean Pagès offre l'image d'un philosophe de la vie qui s'est frotté au réel de l'entreprise et de ses normes de compétivité. Cette approche nouvelle telle qu 'en témoignent les entreprises qui en ont fait le choix conscient, est souvent l'occasion de changer de lunettes : ni roses, ni grises : des lunettes plus clairvoyantes sur ce qui est porteur d'énergie, de créativité et de vision dans l'entreprise. Dans un contexte international et national secoué de crise sociale, économique et éthique, l'appreciative inquiry peut offrir un soleil nouveau sur l'horizon des organisations tant privées que publiques. Et Jean Pagès, pionnier convaincu, avec l'appui de son institut (3), vise un développement de cette démarche car elle lui apparait comme l'une de celles qui " permettent la survie et le développement des entreprises par l'expression réelle de leurs forces de vie".
(1) le coaching avec la méthode appreciative inquiry; collection Eyrolles.
(2) l'état de flow parfois traduit flux en français est l'expérience optimale dans laquelle une personne est complétement immergée dans une activité avec un engagement qui lui fait oublier la notion du temps. Cette expérience est relatée dans son ouvrage traduit en français " vivre la psychologie du bonheur"
(3) voir le site de l'institut français de l'appreciative inquiry en lien sur ce blog pour le programme de formation.